Vincent Roux

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Vincent Roux
Grande Ecole 2004
Nantes

SERIAL ENTREPRENEUR & SUPER-CONNECTEUR

À six ans déjà, Vincent faisait commerce sur le perron de ses parents. À 23 ans, il fut le premier étudiant à voir son entreprise incubée à Audencia… et il n’était pas encore diplômé. Il a co-fondé Intuiti, une agence de marketing numérique qui gère aujourd’hui un portefeuille de marques impressionnant. En 2016, il a lancé Fifty Truck, une start-up qui utilise l’IA pour optimiser les coûts et les émissions de l’industrie du transport. Il est actuellement co-fondateur et vice-président marketing de OCode, dont la mission est de protéger l’identité des personnes et des objets grâce à la technologie blockchain. Vincent, dont le carnet d’adresses est extrêmement bien fourni, est président de « Réseau Entreprendre Atlantique », qui a vocation à orienter les start-ups dans la région du Grand Ouest de la France.

Un rapide coup d’œil au CV sans faute de Vincent Roux pourrait le cataloguer parmi les jeunes prodiges ambitieux et sans concession, prêts à écraser la concurrence pour s’offrir une vie bling-bling, la Silicon Valley dans leur viseur. Mais cet homme est loin de se résumer à ce qu’on lit sur son profil LinkedIn. Quiconque prend le temps de siroter un café en sa compagnie est frappé par sa profonde humanité. Pour lui, affaires rime avec équilibre et bien-être. Père de famille dévoué, il est généralement chez lui pour 18 h 30. C’est une figure locale bien connue, profondément ancrée dans la région Atlantique (« Nantes, la nouvelle Silicon Valley, mais avec une meilleure qualité de vie »), et un allié de longue date d’Audencia. Il consacre une grande partie de ses journées à fournir des conseils pro bono à de jeunes entrepreneurs, et il incarne le mantra « le but avant le profit ».

Vincent nous parle à cœur ouvert des faces cachées de l’entrepreneuriat, de son besoin obsessionnel de donner en retour, et nous explique pourquoi les stéréotypes sur les entrepreneurs nuisent à notre société.

Quel genre d’enfant étiez-vous ?

Je n’ai jamais été scolaire. L’école ne m’intéressait pas et le respect des instructions n’était pas mon point fort. On me trouvait généralement en train de faire le pitre. Cela étant, j’ai toujours été curieux. Je nourrissais constamment une passion pour un nouveau projet et ensuite, j’étais pressé de passer à autre chose sans plus attendre. C’est un trait de personnalité qui me caractérise encore aujourd’hui. Et je suis féru d’informatique depuis l’âge de neuf ans.

Au cours de mon enfance, nous avons déménagé une douzaine de fois à travers toute la France. Je pense que tous ces déménagements m’ont rendu adaptable au changement. Mon premier modèle, ce fut mon père, un homme d’affaires autodidacte qui a commencé comme coursier pour terminer directeur général d’une entreprise d’outils de jardinage. Un souvenir me revient en mémoire : un jour, j’avais six ans et j’ai décidé d’installer un stand devant notre maison avec des articles de l’entreprise de mon père. Ça ne m’avait jamais traversé l’esprit, mais je suppose que c’était mon premier projet commercial !

Votre parcours à Audencia fut quelque peu inhabituel, et c’est peu dire. Parlez-nous de ces années-là.

Fainéant comme j’étais, je n’ai pas suivi la voie élitiste de la « classe prépa ». J’étudiais la gestion à l’IUT de Nantes et chaque fois que je passais devant ce qui s’appelait alors l’ESCNA, j’étais toujours plus déterminé à y entrer. C’est à ce moment-là que je me suis enfin mis à étudier. En 1998, j’ai réussi de justesse l’examen écrit et j’ai obtenu une note excellente à l’oral.

Par un concours de circonstances, six années se sont écoulées entre mon entrée à l’École et l’obtention de mon diplôme. Juste au moment où j’ai reçu ma lettre d’admission, ma petite amie (qui est aujourd’hui mon épouse) a décidé d’aller passer un an à Cardiff… Je faisais des cauchemars à l’idée de la voir revenir avec un Gallois à son bras… Alors j’ai demandé à reporter mon entrée pour passer une année à l’étranger avec elle, ce que l’École a accepté. En deuxième année, j’ai fait un stage au sein d’un grand cabinet de conseil, mais au bout de quelques mois, j’ai su que ce type de carrière n’était pas pour moi.

En 2001, en parallèle de mon stage, j’ai commencé à conseiller de petites entreprises qui voulaient renforcer leur présence numérique. Un matin, j’ai eu une révélation : je devais lancer ma propre entreprise de conseil pour le web. J’ai rassemblé mes forces et j’ai négocié avec mon supérieur pour qu’il valide mon stage, même si je ne revenais pas pour les six derniers mois. J’ai profité de ce temps pour me concentrer sur le développement de mon projet d’entrepreneuriat et j’ai fait enregistrer mon entreprise en janvier 2002. Peu de temps après, j’ai réussi à convaincre Gilles Certhoux et Aïssa Dermouche de faire de moi le premier étudiant à intégrer l’incubateur qu’Audencia venait de lancer. Ces années furent chaotiques, si bien que les derniers modules dont j’avais besoin pour obtenir mon diplôme ont été validés en 2004 seulement.

Créer une entreprise avant d’être diplômé, c’était audacieux, surtout en 2002. Qu’est-ce qui se passait dans votre tête à ce moment-là ?

Le stage que j’avais fait a modifié mes ambitions professionnelles de façon déterminante. En arrivant à l’École, je rêvais de grimper les échelons d’une entreprise du CAC 40. Mais j’ai vite réalisé que la seule façon de travailler en harmonie avec mes exigences déontologiques et de satisfaire mon désir ardant de liberté, c’était de devenir entrepreneur. Je savais qu’il serait peu orthodoxe de ne pas aller au bout de mon stage, mais j’étais tellement déterminé à concrétiser mon projet que la perspective d’attendre encore m’apparaissait comme une perte de temps inutile. J’étais déjà doué pour repérer les besoins du marché et en 2002, j’ai vu le nombre croissant d’entreprises qui souhaitaient avoir une présence numérique. À 23 ans, j’étais pétri d’idées préconçues sur la manière dont on s’y prend pour créer une entreprise. Je me sens très privilégié d’avoir bénéficié du soutien d’une personne comme Gilles Certhoux, qui savait deux ou trois petites choses sur les plans de développement et les études de marché !

Quelle a été la réaction de votre entourage ?

Le conseil de mon père fut sans équivoque : « Va faire des dégâts dans les entreprises des autres avant de commencer à massacrer la tienne. » La majorité de mes camarades de promo pensaient que j’étais un peu barré. Ils se demandaient pourquoi j’avais choisi de ne pas attendre la fin de mes études. Leur réaction m’importait peu, parce que je n’essayais pas de me fondre dans un moule particulier. D’aucuns ont loué mon audace, mais au fond de moi, je savais que j’étais juste irresponsable ! Mais c’était il y a vingt ans et je parie que les réactions des gens seraient très différentes aujourd’hui.

Quels ont été les principaux jalons de votre parcours professionnel ?

Quand j’ai obtenu mon diplôme en 2004, mon entreprise Artiss comptait quatre salariés. En 2005, nous en avions dix et cette année-là, Gilles Certhoux m’a présenté Arnaud Chegnaux, un diplômé d’Audencia. Arnaud avait créé Intuiti à Nantes avec son associé. Leur société proposait une optimisation SEO et la mienne développait des sites web capables d’élargir la base clients. Comme nos offres étaient complémentaires, nous avons uni nos forces et nos entreprises ont fusionné en 2006. En 2013, nous gérions vingt personnes. Mais mes associés ont décidé de voguer vers d’autres projets et je me suis retrouvé à diriger l’entreprise sans co-pilote pendant trois ans. Ce fut comme un cours intensif de leadership : j’ai dû réapprendre à être seul, ce qui ne fut pas une mince affaire, et à me concentrer sur la gestion d’équipe. Ensuite, je suis parti pour commencer une collaboration fructueuse avec un groupe industriel de l’ouest de la France – Idea, dirigé par Bruno Hug de Larauze et après un an ensemble, nous avons créé une start-up appelée Fifty Truck. Deux ans plus tard, nous l’avons vendue à une société de logistique intéressée par notre technologie. Ma dernière initiative, lancée en décembre 2018, s’appelle OCode, dont je suis co-fondateur et vice-président Marketing.

Qu’est-ce qui vous a poussé à passer d’un projet à un autre ?

À chaque fois, il y a eu un stade où je sentais que j’arrivais en bout de course. Je commençais à m’intéresser à d’autres choses et je ne pouvais plus manœuvrer l’entreprise pour l’adapter à mes nouveaux besoins. L’entrepreneuriat exige tellement d’énergie qu’il faut vraiment être passionné. Et puis si je n’apprends plus autant qu’au départ, j’ai peur que mes performances en pâtissent, ce qui pourrait avoir une incidence négative sur l’entreprise. Il n’y a rien de pire que les vieilles habitudes pour entraver le progrès. En tant que dirigeant, on doit incarner le changement escompté, alors je sais toujours quand il est temps de tourner la page.

Vous êtes manifestement très investi dans les entreprises que vous dirigez. Comment gérez-vous mentalement ?

À mes yeux, aucune autre expérience professionnelle ne génère autant d’adrénaline que la création d’entreprise. Mais le parcours peut être solitaire et source de stress. Par exemple, j’ai connu une croissance stimulante avec Fifty Truck, mais j’ai aussi eu de sérieux revers. Avec Intuiti, tout allait bien, j’étais presque en mode croisière et je gérais une grosse équipe. Alors il a été éprouvant de remettre les mains à la pâte. Intellectuellement, c’était exigeant et par moments, ça m’a vidé totalement. J’ai dû assimiler beaucoup de connaissances en un temps très court dans les domaines de la logistique, des données et de la durabilité. Ce n’est pas facile de se retrouver sur le fil du rasoir à 40 ans.

Je suis également passé par des phases très déstabilisantes. Par moments, j’ai perdu confiance en moi et j’ai remis en question mes compétences professionnelles. Pendant plusieurs années, j’ai été paralysé par des crises d’anxiété et quand j’étais au plus mal, je suis resté cloué au lit pendant trois mois.

J’ai eu la chance d’avoir le soutien de ma famille et j’ai pris un coach qui m’a beaucoup aidé. Ensuite, les choses se sont améliorées naturellement : j’ai approfondi mes connaissances techniques, j’ai trouvé le bon angle d’attaque face à un problème et mon entreprise a accédé à une plus grande reconnaissance.

Je suis désormais beaucoup plus raisonnable pour faire la part des choses entre travail et vie privée. Le sport est indispensable à mon bien-être. Et il est clair que le fait d’aider d’autres personnes dans leur parcours entrepreneurial m’aide à trouver le sens dont j’ai besoin.

Est-ce pour cette raison que vous êtes investi dans autant de réseaux et de programmes de mentorat dans la région nantaise ?

Oui, absolument. En parallèle de mon travail, je gère La Cantine Numérique, Imagination Machine, et je suis président de « Réseau Entreprendre Atlantique ». Je n’imagine pas de carrière où je chercherais uniquement à faire prospérer mon entreprise, sans donner en retour aux jeunes créateurs de start-up. Franchement, c’est aussi stimulant pour moi que pour eux ! J’aime bien réserver la plage 7 h 30-9 heures pour mentorer les personnes que j’accompagne et leur porter toute mon attention avant de commencer ma journée de travail.

Je sens également que j’ai la responsabilité d’aider le territoire dans lequel j’exerce mon activité et de rendre notre écosystème local aussi dynamique que possible. D’abord parce que mon entreprise en bénéficiera. Et parce que l’entrepreneuriat peut être une expérience assez solitaire, je trouve que les échanges avec mes pairs sont très enrichissants.

Je suis convaincu que pour se constituer un réseau valable, il faut commencer par être généreux avec son temps en faisant du bénévolat et en parrainant. Il y a fort à parier que vous en récolterez les fruits sur le plan professionnel et que vous vous ferez quelques amis en chemin.

Je décline rarement une demande de réunion, parce que la plupart du temps, la rencontre ouvre sur quelque chose de constructif…. Ça rend mon épouse complètement dingue ! Mais mes idées les plus intéressantes ne me sont jamais venues quand j’étais devant mon écran d’ordinateur.

Quel conseil aimeriez-vous donner aux étudiants d’Audencia qui ont envie de créer leur entreprise ?

Je leur dirais allez-y, lancez-vous et ne regardez pas en arrière. Quand on a la vingtaine, les enjeux sont faibles, on n’a pas grand-chose à perdre et personne ne vous jugera si vous échouez.

À mes yeux, ce qui fait un bon entrepreneur, c’est la capacité d’analyser et de s’adapter en permanence à la topographie et aux opportunités du marché. Je trouve que paradoxalement, c’est une période fantastique pour créer une entreprise. Notre monde arrive à un point de bascule important où le sentiment accru d’anxiété paralyse certaines personnes tandis qu’il donne des ailes à d’autres. Dans le même temps, cette crise est porteuse d’une série de contraintes inédites, mais la contrainte, c’est précisément ce qui motive l’innovation ! Cette lame de fond a créé de l’espace pour de nouvelles façons de consommer, de faire du commerce et de considérer les collaborateurs.

J’encouragerais également les étudiants à voir au-delà des stéréotypes de l’entrepreneur souvent véhiculés par les médias. Les entrepreneurs en herbe doivent être conscients des obstacles, des sacrifices et du travail qui accompagnent la création d’une entreprise de A à Z. Il ne faut pas non plus qu’ils soient découragés par le cliché de l’entrepreneur grégaire venu se faire des milliards dans la tech. En fait, cette vision étriquée empêche les jeunes qui voudraient se lancer dans l’entrepreneuriat de déterminer si cette voie est faite pour eux.

Et au fait, si vous aimez Nantes, ne vous sentez pas obligé de déménager ! C’est aujourd’hui un pôle technologique dynamique, alors n’importe qui peut créer une entreprise ici sans être désavantagé. Vous n’avez plus besoin de choisir entre l’ambition et la qualité de vie…

Selon vous, quel rôle pourrait jouer Audencia pour encourager la prochaine génération d’entrepreneurs ?

Cyril Dion a affirmé à juste titre que c’est le pouvoir des histoires qui changeait les habitudes et les croyances des gens. C’est pour cela que je suis convaincu que l’école a un rôle important à jouer pour faire la promotion de l’entrepreneuriat, au-delà des clichés et des profils LinkedIn dorés à l’or fin des dirigeants les plus en vue. En invitant régulièrement des entrepreneurs de différents calibres, et d’horizons et de secteurs variés, l’École peut avoir un impact profond sur les étudiants pour les encourager à sauter le pas eux aussi. Et je rendrais la venue à ces interventions obligatoires !

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Selon vous, quelles mesures Audencia pourrait-elle prendre pour être plus inclusive dans la façon dont elle attire et accompagne des étudiants des quatre coins du monde ?

C’est une question très épineuse parce qu’il y a encore peu de mixité sociale dans notre société. Il me semble qu’un club qui donnerait la possibilité aux étudiants d’établir des partenariats avec des organisations caritatives et d’aider les élèves des communautés désavantagées pourrait contribuer à combler ces fossés. Les étudiants seraient non seulement des tuteurs, mais également des coaches, afin d’encourager quelques élèves à considérer Audencia différemment, comme une possibilité à portée de main.

Où vous voyez-vous dans cinq ans ?

Eh bien, je vois deux possibilités. Soit mes partenaires et moi à OCode aurons réussi à avoir un impact à l’échelle mondiale, auquel cas je dirigerai les opérations internationales et je voyagerai beaucoup. Si l’activité capote, je développerai une autre idée qui m’est venue : un centre de bien-être pour les entrepreneurs, afin de les aider à se sentir mieux dans leur corps, leur âme et leur cœur. Il faudrait que je suive une formation de nutritionniste et l’examen est très sélectif, alors il faudrait que je devienne plus studieux que je ne l’ai été jusqu’ici !

Qu’avez-vous prévu de faire ce week-end ?

Je vais faire une surprise à mon épouse. Je vais l’emmener quelque part pour le week-end, afin qu’on passe un bon moment bien mérité tous les deux.

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