Quang Do

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Quang Do
MBA 2008
Ho Chi Minh City

Co-fondateur de GreenViet Consultancy

Cette histoire raconte comment un enfant vietnamien très sage ayant grandi dans un village rural sans électricité et sans bibliothèque a fini par obtenir un MBA à Audencia. Quand nous demandons à Quang de raviver ses souvenirs d’enfance, un revient surtout : les heures passées le nez plongé dans ses livres d’école. Ses parents ne lui laissaient pas beaucoup de temps pour s’amuser et de toute façon, il n’avait pas accès à d’autres activités. À l’adolescence, il a compris que l’éducation pouvait être une échappatoire pour sortir de la pauvreté et offrir à sa famille un autre mode de vie. Quand il a atteint l’âge adulte, Quang s’est enfin trouvé dans une position confortable qui lui permettait d’apprécier l’éducation purement comme une source de stimulation intellectuelle. Jamais repu, il ambitionne aujourd’hui de faire un doctorat, peut-être aux États-Unis. Un long chemin parcouru…

Quang a co-fondé le premier cabinet de conseil du Viet Nam spécialisé dans la construction verte et l’entreprise détient actuellement 50 % des parts du marché national. Il ne cache pas que le choix de la durabilité était au départ une stratégie commerciale visant à lui conférer une avance sur la concurrence. Cet aveu pourrait sembler déconcertant pour un public occidental habitué à voir des entreprises de développement durable capitaliser sur leurs motivations vertueuses. Mais nous préférons nous attarder sur les difficultés que Quang a dû surmonter pour arriver là où il est aujourd’hui, sur l’ingéniosité et le sens des affaires dont il a fait preuve en premier dans ce secteur de niche, et célébrer ses réussites. Avec plus de cent projets à son actif menés à bien pour des clients prestigieux tels que Decathlon, P&G ou Mastercard, GreenViet révolutionne les pratiques du bâtiment et contribue à rendre le Viet Nam plus respectueux de l’environnement.

La maturité de Quang quand il n’était encore qu’un enfant est une leçon d’humilité, tout comme la détermination qui l’a motivé tout au long de sa vie pour que sa famille connaisse des jours meilleurs. Sa devise est simple et efficace : « Tu dois écrire ta propre histoire ! »

Quel genre d’enfance avez-vous eu ?

Je suis né dans un village rural et pauvre appelé Lang Co, non loin de Hué, dans le centre du Viet Nam. Mes parents étaient professeurs des écoles et notre famille n’avait pas beaucoup d’argent. Je ne me souviens pas que ma sœur aînée, mes deux petits frères et moi ayons eu grand-chose pour nous amuser, en dehors d’un jeu d’échecs. Après nos journées d’école, nos parents insistaient pour que nous passions du temps à étudier, ce qui convenait à ma personnalité calme. Je n’ai jamais participé aux voyages d’école pour économiser l’argent de mes parents et pour avoir plus de temps pour étudier, ce qui explique pourquoi vous ne me verrez sur aucune des photos de groupe que mes anciens camarades de classe publient sur Facebook…

Comment avez-vous vécu le déménagement de votre village rural à la grande ville ?

Il n’y avait pas de lycée dans notre village, alors quand j’ai eu 14 ans, ma famille a emménagé à Hô Chi Minh-Ville, la ville la plus peuplée du Viet Nam. Mes parents ont arrêté d’enseigner en raison de la bureaucratie compliquée pour être transférés d’une école dans une autre. De toute façon, leur salaire aurait été trop faible pour subvenir aux besoins de quatre enfants. Ils ont dû jongler avec plusieurs petits boulots, alors les cinq premières années là-bas ont été particulièrement rudes.

La transition fut un grand choc pour moi. Quand nous sommes arrivés, j’ai dû mettre mon éducation entre parenthèses pendant un an afin de gagner de l’argent pour aider mes parents. Par chance, mon cousin, qui était électricien sur des chantiers, m’a proposé une place. Mais ce n’était pas du tout une vocation à ce moment-là ! À cet âge-là, je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie et je brûlais d’impatience de retourner à l’école.

J’ai un souvenir très clair de cette période, c’était en 1994 avec mes frères. Nous voulions désespérément regarder la finale de la Ligue des Champions, mais nos parents n’avaient pas la télé. Le match très attendu entre l’AC Milan et le FC Barcelone était diffusé à minuit, heure du Viet Nam, et nous l’avons suivi allongés sur nos lits, l’oreille collée au mur pour essayer de capter les commentaires sur le téléviseur de nos voisins. C’est à ce moment-là que j’ai promis à mes frères qu’avec mon premier salaire après la fin de mes études, j’achèterais un téléviseur pour chaque pièce. À partir de ce moment-là, j’ai canalisé toutes mes frustrations dans les études.

Pourquoi avez-vous choisi d’étudier le génie civil ?

À la fin du lycée, j’étais tenté d’étudier l’informatique, parce que j’étais en pâmoison devant les ingénieurs informaticiens ! Au lieu de cela, j’ai fait le choix plus rationnel d’un diplôme en génie civil. Je savais que l’infrastructure des logements au Viet Nam était encore fragile et que le secteur du bâtiment m’apporterait la sécurité de l’emploi. Mes parents m’ont encouragé dans cette voie, ils disaient que si je ne trouvais pas de travail dans une grande entreprise après mes études, il y aurait toujours du travail sur des projets de chantiers privés.

Comment se fait-il que vous ayez fini par consacrer près de dix ans aux études universitaires ?

J’ai toujours été studieux, mais ce n’est qu’en arrivant dans l’enseignement supérieur que j’ai réalisé à quel point l’éducation avait le pouvoir de nous sortir de la pauvreté. À plusieurs stades de mon parcours académique, j’ai ressenti que je devais me focaliser de façon plus agressive sur mes études et que je devais réussir.

À la fin de ma deuxième année à l’Université polytechnique, j’ai réalisé à quel point je voulais améliorer mon anglais et à quel point ça m’aiderait à mieux gagner ma vie. Cependant, quand j’ai expliqué à mon père que j’envisageais d’arrêter l’ingénierie pour suivre des études d’anglais, il m’a stoppé net ! Nous avons trouvé un compromis et j’ai étudié l’anglais en cours du soir, une routine qui m’a laissé cinq heures de sommeil par nuit en moyenne, mais je ne l’ai jamais regretté.

Par la suite, après avoir travaillé cinq ans dans le bâtiment, il devenait évident que j’aurais besoin de compétences académiques supplémentaires pour évoluer professionnellement. L’idée d’un MBA est venue d’un désir d’approfondir les connaissances pratiques que je possédais en finance et en marketing. L’école de management franco-vietnamienne avait un partenariat avec Audencia, mais seule une poignée d’étudiants parmi les plus performants pouvaient prétendre passer la deuxième année en France et recevoir une bourse. J’ai redoublé d’efforts, j’ai terminé troisième sur 65 étudiants et la suite, vous la connaissez…

Comment avez-vous évolué professionnellement au début ?

J’ai commencé comme ingénieur de chantier pour une grande entreprise de bâtiment. J’étais chargé de superviser les ouvriers, de garantir le respect des mesures de sécurité et de veiller à l’avancée des travaux dans le respect du calendrier. Mes compétences en anglais ont été récompensées, car mon supérieur m’a choisi pour lire les contrats et assister aux réunions avec les clients et les promoteurs internationaux.

Mais la réalité, c’est que je passais encore le plus clair de mes jours, et de nombreuses nuits, dans la poussière et la chaleur étouffante des chantiers. Je savais que je pouvais faire un travail plus intéressant que de crier des instructions à des ouvriers du bâtiment. Un jour, mon souhait s’est réalisé quand un cadre supérieur taïwanais qui faisait partie de mes clients m’a proposé de rejoindre son équipe de chefs de projet. Ce poste m’a permis de travailler dans un bureau avec des heures de travail normales, et également d’améliorer mes compétences dans les domaines de l’architecture, de la finance, des ventes et du marketing. Rapidement, j’ai été en mesure de gérer des projets entiers de bout en bout. J’acquérais toutes ces compétences de gestion sur le tas, mais il est arrivé un moment où j’ai su que l’étape suivante devait être un MBA.

Parlez-nous de votre expérience d’un an à Audencia comme étudiant en MBA.

Je suis venu en 2007 et mon épouse m’a accompagné, mais pour être honnête, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour profiter de Nantes avec elle ou de socialiser avec les autres étudiants, parce que le programme MBA était dense. Nous devions lire nos cahiers avant d’arriver en cours et préparer des questions pour les enseignants… pas l’inverse, comme j’y étais habitué. Au début, j’ai trouvé la culture de l’apprentissage difficile. On attendait de moi que je participe en classe, mais traditionnellement, les Vietnamiens ne s’expriment pas en groupe, et je suis d’un naturel réservé. Cela étant, vers la fin du programme, je me sentais plus à l’aise avec ce format et je peux dire que l’expérience m’a changé.

J’ai entendu dire que vous étiez reparti d’Audencia avec un « souvenir » très spécial…

C’est vrai ! Mon épouse était enceinte pendant notre séjour à Nantes et notre fille est née à Lyon, où un de nos amis proches habitait. Au bout d’un mois, notre famille de trois personnes est revenue vivre dans ma minuscule chambre d’étudiant à Nantes, où nous nous sommes efforcés de faire profil bas pour éviter les plaintes des autres résidents. Le pompon, c’est que je devais rédiger ma thèse… ce fut sans aucun doute une période éprouvante ! Notre fille est née pendant l’année vietnamienne de la souris, alors nous l’avons appelée « Suri », un nom qui fonctionne en vietnamien.

Qu’est-ce qui vous a motivé à créer votre propre entreprise ?

En rentrant au Viet Nam, je suis reparti travailler chez mon ancien employeur, mais après trois ans, j’ai compris que je n’exploiterais pas tout le potentiel de mon MBA dans une grande entreprise. Mon idée était d’ouvrir un cabinet de conseil pour voir comment je pourrais mettre en pratique mes connaissances et tester mes capacités. J’avais 34 ans et je voulais voir si je pouvais devenir entrepreneur et homme d’affaires. L’un des projets architecturaux que j’ai menés avant de quitter mon emploi salarié était le premier au Viet Nam dont le cahier des charges tenait compte de la durabilité. Mon MBA m’a aidé à voir dans la construction durable une niche à haut potentiel qui pourrait m’offrir un avantage concurrentiel. J’ai étudié le marché et j’en ai conclu que j’étais le seul dans le pays à posséder un MBA et une double expertise en construction et en développement durable.

Ma motivation provenait également de la frustration de savoir que l’échelle des salaires au Viet Nam pénalisait injustement les talents locaux. Quand j’étais salarié dans mon entreprise précédente, j’ai découvert qu’un collègue étasunien était payé cinq fois plus que moi ! Je voulais prouver que les Vietnamiens pouvaient jouer dans la même catégorie que les autres nationalités et c’est pour cette raison que j’ai appelé mon entreprise GreenViet. Je suis très fier du fait que nous remportons désormais des appels d’offre contre de grandes entreprises internationales.

Qu’est-ce qui vous a incité à travailler dans le domaine du développement durable ?

Quand j’étais jeune, j’ai lu un article sur les maisons passives en Scandinavie. J’étais impressionné par le concept d’une maison capable d’équilibrer son énergie, naturellement fraîche en été et offrant une isolation efficace en hiver, le tout avec une consommation d’énergie minimale et un design élégant.

Comment êtes-vous parvenu à vendre votre proposition commerciale innovante ?

Les trois premières années ont été compliquées. Le niveau de vie au Viet Nam était faible comparé à des endroits comme Singapour, la Malaisie ou même la Thaïlande. Le marché ne comprenait pas la nécessité de projets durables et la demande était faible. Mais je savais que nous devions prendre les choses en main, recruter les bonnes personnes et établir des processus avant que les géants de Singapour et des États-Unis n’entrent dans la danse. Ma priorité était de garder l’entreprise à flot et de payer les salariés de ma petite équipe. Les affaires ont finalement commencé à décoller en 2015 : à ce moment-là, le niveau de vie de la population s’était amélioré, de même que la sensibilisation à la santé et à la question du développement durable.

Pouvez-vous nous parler d’un projet GreenViet que vous aimeriez mettre en lumière ?

La construction de bureaux représente vingt pour cent environ de notre activité et il nous arrive également de construire des écoles et des hôtels, mais l’essentiel de notre portefeuille, ce sont les usines. Il y en a une qui me rend particulièrement fier. C’est une usine de confection pour Decathlon, près de Hô Chi Minh-Ville, la première usine durable pour ce prestigieux groupe français. Nous avons créé un système d’éclairage naturel intelligent qui réduit drastiquement la consommation d’électricité. Pendant la journée, le bâtiment n’a pratiquement pas besoin de climatisation ou d’éclairage artificiel. Il y a une vaste cafétéria qui donne sur un verger de manguiers, de jacquiers et d’orangers et sur un jardin potager… là où habituellement, on trouverait une pelouse. Le client a filmé l’intégralité du processus et, il y a quelques années, il l’a montré à la réunion annuelle des gérants d’usine à Paris. C’est l’une des réalisations dont je suis le plus fier !

Sur le plan personnel, êtes-vous optimiste ou pessimiste quant à notre capacité à préserver l’environnement ?

Il ne fait aucun doute que la situation s’aggrave de façon alarmante, mais je suis optimiste que collectivement, nous trouverons des solutions. Dans le chaos de la pandémie de COVID-19, il y a définitivement eu une prise de conscience. Je crois que plusieurs tendances positives durables émaneront de cette crise. Par exemple, avant 2020, les réunions professionnelles en visioconférence étaient rares au Viet Nam. Aujourd’hui, je pense qu’aucun de mes clients ne s’attendrait plus jamais à ce que je fasse deux heures de voiture ou de vol pour une réunion d’une heure !

Quelle incidence votre réussite professionnelle a-t-elle eue sur votre famille ?

Mes efforts académiques ont porté leurs fruits. Quand j’étais à Audencia, mon frère a exprimé le souhait d’aller étudier dans une université aux États-Unis. Mon père m’a appelé pour me demander conseil, car nous n’avions pas suffisamment d’économies pour financer ce projet. Motivé par la conviction que mon MBA me permettrait bientôt de gagner plus, j’ai pu parrainer les études de mon frère. C’était une sage décision, car mon frère a étudié aux États-Unis, il a obtenu un diplôme et il est installé là-bas.

Mes parents sont immensément fiers de ce que j’ai accompli. J’ai tenu ma promesse et je leur ai acheté trois téléviseurs avec ma première paie ! Mais surtout, avec mon soutien financier, ils ont pu prendre une retraite anticipée après une vie épuisante. Heureusement, mes filles grandissent dans des conditions plus favorables que les miennes, mais je leur raconte souvent les difficultés auxquelles j’ai dû faire face. Il est important qu’elles comprennent d’où je viens et qu’elles gardent les pieds sur terre.

Où vous voyez-vous dans cinq ou dix ans ?

En vieillissant, je me sens de nouveau attiré par le monde académique. Il y a trois ans, j’ai commencé à enseigner quelques heures par mois à l’université. J’enseigne les deux matières qui me passionnent : le marketing/la RSE côté entreprise et la construction durable côté ingénierie. Et le prochain grand projet, c’est que j’envisage de faire un doctorat dans les deux ou trois prochaines années. J’aimerais le faire aux États-Unis, ce qui serait une grande aventure pour moi et ma famille. Alors oui, d’autres études se profilent !

Qu’aimez-vous faire pendant votre temps libre ?

Mes filles ont douze et huit ans et j’ai bien conscience que je n’ai plus beaucoup de temps avec elles à la maison. Elles pourraient quitter le nid bientôt pour aller étudier aux États-Unis ou en Europe, alors nous essayons toujours de passer du temps de qualité en famille. Suri n’a pas de liens forts avec la France, mais nous nous efforçons d’encourager cette affinité à chaque fois qu’une occasion se présente. Et pour ça, quoi de mieux que la nourriture. Je suis tellement content d’avoir découvert un supermarché français dans mon quartier, l’équivalent d’un Marché U. Et devinez quoi… ils vendent même mes brioches préférées !

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