Ping Sun
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Présidente de Sichuan Huashui Excellence Cabinet Fiscal et de Huashui Groupe (cabinets de conseil en droit fiscal)
Sun Ping est convaincue que le fait de s’imposer un cadre de règles strictes est la clé d’une carrière réussie et d’une vie harmonieuse. Elle a été modelée par une éducation rigoureuse au régime militaire (au sens propre comme au figuré – son père était officier de l’armée). Elle devait notamment suivre un protocole de gestion du temps original, qu’elle toujours a adopté depuis et qu’elle applique avec ses collaborateurs et les membres de sa famille. La loyauté envers ses parents est une règle importante pour elle : même si elle souhaitait ardemment devenir enseignante, elle a suivi la voie qu’ils avaient choisie pour elle et elle est devenue comptable. Elle a fini par embrasser une carrière brillante dans la fiscalité. La diligence est un autre principe fondamental de son cadre de valeurs. Elle s’est construite toute seule : elle a commencé comme trésorière et a gravi les échelons jusqu’à lancer son propre cabinet de conseil en fiscalité en 2004. Elle cumule plus de 30 ans d’expérience en gestion financière qui l’ont amenée à régler des litiges d’ordre fiscal et à fournir des conseils financiers et fiscaux avant une introduction en bourse.
Aujourd’hui, elle compte parmi les professionnels les plus respectés et les plus reconnus de son secteur d’activité en Chine. Elle est guidée par une solide éthique professionnelle et morale qui l’a parfois amenée à tenir tête à des supérieurs hiérarchiques, jusqu’à risquer de perdre son poste. Cette femme de caractère se lève à 6 h 50 365 jours par an, sans avoir besoin d’un radio-réveil, et court 5 kilomètres, « même pendant le festival du Nouvel An chinois ». Elle est ouvertement ambitieuse et entend un jour se mesurer à des concurrents comme KPMG et EY, mais accepte humblement qu’elle n’y parviendrait pas sans un plan d’apprentissage à vie. C’est ce qui l’a décidée à s’inscrire au programme sino-français DBA SWUFE-Audencia, dont elle fut la seule femme à ressortir diplômée en 2018. Soucieuse de véhiculer l’importance du travail acharné et de la résilience à la nouvelle génération, elle intervient gracieusement auprès de SWUFE et d’autres universités de Chengdu pour aider les étudiants à penser leur évolution de carrière.
Elle s’empresse néanmoins d’ajouter qu’elle ne plaide pas pour l’établissement et l’observance de règles juste pour le plaisir. Son organisation structurée est ce qui l’aide à optimiser son emploi du temps et à se réserver des temps de qualité avec son époux et son fils, ainsi que du temps pour soi, afin de se ressourcer. Romantique jusqu’au bout des ongles, elle pensait à la France depuis des années, s’imaginant naviguer sur la Seine, une main dans celle de son cher et tendre, l’autre tenant un bouquet de roses. Et elle a à cœur de tordre le cou au stéréotype du comptable triste et poussiéreux : elle aussi peut se laisser aller de temps à autre… mais toujours décemment et modérément !
Merci beaucoup d’avoir accepté cette invitation. Comment doit-on vous appeler ?
Je m’appelle Sun Ping. Mon nom de famille Sun est une référence à Sun Yat-sen* et mon prénom Ping signifie « pomme » en chinois. Mais mes enseignants français m’appelaient tous Sunny, alors vous pouvez m’appeler comme ça.
* Premier président de la République de Chine et premier leader du Kuomintang (Parti nationaliste chinois). On le surnomme le « Père de la Nation » et il est encore largement vénéré en Chine continentale et à Taïwan.
Commençons par le début, Sunny. Comment décririez-vous votre enfance ?
J’ai grandi à Chengdu, dans la province du Sichuan en Chine, qu’on appelle également le « paradis sur Terre » en raison de la beauté des paysages et de l’abondance de terres. Mon père était un officier de l’armée qui a combattu dans la guerre de Corée contre les États-Unis. Ma mère est médecin, comme son père et son grand-père avant elle. Notre maison était un peu comme un baraquement militaire et mon père nous a élevées, ma sœur et moi, comme ses petits soldats. Il établissait un programme pour chaque tâche ; même la plus insignifiante était minutée et je devais respecter le temps qui m’était imparti. Chaque matin, je me réveillais au son de son sifflement strident. Ensuite, j’avais trois minutes pour faire mon lit et plier les draps, les oreillers et les couvertures comme le font les soldats. J’avais ensuite trois minutes exactement pour me brosser les dents et me nettoyer le visage, une minute pour lacer mes chaussures et une minute encore pour mettre mon foulard rouge.
Je peux comprendre pourquoi une routine aussi stricte pourrait sembler un peu extrême, mais je m’y suis toujours pliée docilement, sans me sentir restreinte et sans ressentiment à l’encontre de mes parents. J’ai reçu une éducation stricte, mais j’étais aimée. Ce système rigoureux de gestion du temps a eu un impact très profond sur moi et je l’ai intégré naturellement dans ma vie scolaire et dans la façon dont je conduis mon entreprise et ma vie de famille. Je suis reconnaissante envers mes parents de m’avoir inculqué des techniques qui m’ont donné la possibilité de mener une vie plus riche et plus libre.
Quand vous étiez enfant, qu’est-ce que vous vouliez faire une fois « quand vous seriez grande » ?
Depuis toute petite, je voulais devenir enseignante. J’ai tellement de respect pour ce noble métier. Je considère les enseignants comme des « ingénieurs de l’esprit humain », qui ont le pouvoir de transmettre des connaissances et de purifier l’âme.
Si vous étiez habitée par un rêve aussi pénétrant, comment en êtes-vous arrivée à emprunter une voie aussi différente que le secteur de la fiscalité ?
Ma mère avait fait des choix d’éducation pour moi sur la base de considérations mûrement réfléchies. Elle avait envisagé une carrière dans la médecine, le droit ou la comptabilité, qui étaient les plus respectés en Occident selon elle. Elle pensait qu’il était important de choisir une profession qu’aucun autre membre de la famille n’avait exercée auparavant. Et qui serait adaptée à mon fort caractère et à ma personnalité indépendante. C’est comme cela que l’idée de devenir comptable a émergé. Ce choix s’est avéré excellent pour moi, car il m’a offert un statut libéral, mais respectable.
Vous avez gravi les échelons jusqu’à un poste très haut placé. Avez-vous mis à profit les relations d’amis ou de proches ?
Pas du tout. J’ai commencé à étudier la comptabilité en 1985 et après avoir obtenu mon diplôme universitaire, j’ai décroché un stage comme trésorière. Ensuite, j’ai gravi les échelons jusqu’à devenir comptable, puis cheffe de l’unité Comptabilité et jusqu’à des postes de direction. Le directeur de la première entreprise pour laquelle j’ai travaillé, un institut de recherche dans les nouvelles technologies, a certainement contribué à cette ascension en me faisant confiance pour prendre mes propres décisions, ce qui m’a aidée à prendre confiance en moi.

Pourriez-vous nous confier quelques-unes des décisions les plus audacieuses que vous avez pu prendre dans votre carrière ?
En 2003, j’ai ressenti le besoin d’un nouveau défi, alors j’ai intégré une entreprise étrangère. En Chine, les entreprises étrangères avaient des normes plus strictes et avaient besoin de talents à cette période. Il est arrivé un moment où un différend avec le vice-président de notre entreprise basée aux États-Unis a pris une autre tournure quand j’ai découvert qu’il avait été impliqué dans des malversations. Mon poste faisait que je rendais compte directement au Comité de direction et mon éthique professionnelle me poussait à signaler la situation. Avant de le faire, je suis allée le voir en privé pour l’affronter. Quand il a été clair qu’il ne démissionnerait pas, j’ai décidé de partir, parce qu’il était impensable que je travaille avec quelqu’un de malhonnête.
La même année, j’ai pris une autre décision audacieuse en créant Sichuan Jinlitong Financial Consulting Co Ltd, un cabinet de conseil financier. Mon époux est expert en finances, ce qui m’a aidée à acquérir une expertise dans les domaines des sciences, des technologies et des prêts immobiliers, et à mieux connaître les conditions bancaires et les préférences en matière de risque. À la fin de l’année, j’avais signé des contrats avec un grand nombre d’entreprises publiques, dont le géant Chengdu Telecom, ainsi qu’avec des sociétés de promotion immobilière. Peu après, en août 2004, sur une recommandation d’un de mes clients, j’ai créé mon propre cabinet de conseil en fiscalité.
La façon dont je m’y suis prise pour créer cette deuxième entreprise fut tout aussi audacieuse… À cette période, le gouvernement chinois entamait un processus de réforme des cabinets de conseil en fiscalité sur tout le territoire et aucun nouveau fiscaliste n’avait obtenu son homologation au cours des deux dernières années. J’étais consciente de cet obstacle juridique, mais j’étais motivée par les besoins pressants de mes clients. Alors j’ai décidé de rencontrer directement la secrétaire générale du centre de l’administration fiscale. Je lui ai assuré que contrairement à d’autres candidats, j’avais déjà une longue liste de clients qui attendaient d’être servis et je lui ai demandé de me faire confiance pour développer mon activité de façon exceptionnelle. Ma plaidoirie a porté ses fruits et mon dossier a été traité en l’espace d’un mois : un record !
J’ai remarqué sur votre CV qu’en 2000, vous aviez fait un MBA à l’université du Sichuan, en 2010 un programme EMBA à SWUFE (Southwest University of Finance and Economics), et en 2015 un DBA avec Audencia à Chengdu. D’où vous vient cette soif inassouvissable de formation ?
Les gens me considèrent souvent comme une PDG intransigeante, une sorte de requin des affaires, mais je me vois davantage comme une femme ordinaire en quête perpétuelle de connaissance. En 2010, après avoir créé ma propre entreprise, j’ai eu le sentiment que l’obtention de mon MBA commençait à dater. Je devais actualiser mes connaissances pour répondre aux besoins évolutifs de mes clients.
Pour quelles raisons avez-vous choisi ce DBA et quels enseignements en avez-vous tiré principalement ?
Ce qui m’a le plus impressionnée, c’est l’aspect international du programme. Dans les années à venir, je veux que mon entreprise devienne la plus internationale de tous les cabinets de conseil en fiscalité du pays. J’entends tirer parti du port de libre-échange de Hainan pour étendre la portée de mes activités de la province du Sichuan à l’échelle internationale. Mon objectif est d’élargir mon champ d’action et ma réputation pour un jour, concurrencer le Big Four (KPMG, E&Y, PwC et DTT). Je dois avouer que je suis une libérale et une grande romantique, alors j’ai toujours un peu fantasmé sur la France et j’y étais venue plusieurs fois dans ma jeunesse. La perspective de recevoir un enseignement par des intervenants français (en tandem avec des enseignants chinois) et de venir en France (Nantes) pour un séjour pédagogique de deux semaines a définitivement influencé ma décision !
J’ai obtenu mon diplôme il y a quatre ans et je peux dire que le programme m’a ouvert les yeux sur ce qui importe le plus pour réussir quand on est entrepreneur. J’ai appris qu’il ne suffit pas de se concentrer sur les chiffres de vente et qu’il est essentiel d’intégrer la gestion dans le processus entrepreneurial. Je suis également plus attentionnée à l’endroit de mon personnel et j’ai adopté de petits rituels, comme noter leurs dates d’anniversaire. Par ailleurs, mes compétences en matière d’analyse critique et de résolution des problèmes se sont améliorées.

Êtes-vous toujours proche de vos camarades de DBA ?
Très. Nous étions un petit groupe et cinq d’entre nous seulement ont obtenu leur diplôme en 2018. Le fait d’avoir étudié aussi intensément ensemble pendant trois années entières a créé des amitiés très fortes. Professionnellement, je les aide sur des points de fiscalité et certains sont même devenus des clients.
Avez-vous le sentiment d’avoir été confrontée à des obstacles supplémentaires en raison de votre genre ?
Honnêtement, je ne crois pas. J’ai pu faire tout ce que les hommes font dans mon secteur… sauf peut-être boire et fumer… c’est juste que ça ne fait pas partie de mon mode de vie (rires) ! Et je suis fière qu’une grande majorité de mes employés soient des femmes.
Regrettez-vous parfois de ne pas avoir concrétisé votre rêve d’enfant de devenir enseignante ?
Je n’ai pas de regrets parce que mes aspirations ont changé et je me sens comblée par mon travail. Je crée de la valeur pour mes clients à travers mon professionnalisme et mon dévouement pour résoudre leurs problèmes financiers, ce qui m’apporte de la fierté et de la satisfaction. Et en fait, je trouve des similitudes entre mon travail et l’enseignement. Quand je fais un exposé sur la fiscalité, quand je propose une interprétation des politiques fiscales ou que je donne des orientations sur les solutions fiscales envisageables, je partage et je transmets du savoir. Par ailleurs, je consacre beaucoup d’énergie à des projets qui viennent en aide aux nouvelles générations. Je fais du mentorat pro bono dans plusieurs universités et j’ai mis en place un programme de bourse en partenariat avec SWUFE et Université Normale de Hainan pour offrir des opportunités aux étudiants méritants.

Avez-vous des conseils à donner aux étudiants et aux diplômés d’Audencia et de SWUFE ?
Je leur intimerais de ne pas se comparer aux autres, parce que c’est préjudiciable pour leur bien-être affectif. Deuxièmement, la persévérance a du bon. J’ai l’impression que la nouvelle génération d’étudiants manque de cran. Ils abandonnent trop tôt et ont tendance à ronchonner, à rejeter la faute de leur échec sur leurs parents, qui ne sont jamais assez riches ou assez puissants. Troisièmement, continuez d’apprendre. Entourez-vous de personnes intéressantes et de livres instructifs. « The Way of Life » de Kazuo Inamori m’a profondément marquée. C’est un entrepreneur de renommée mondiale qui est devenu moine à soixante-huit ans et qui plaidait pour l’altruisme dans le monde des affaires.
Selon vous, quels qualificatifs vos collègues utiliseraient-ils pour vous décrire ?
Pour tout vous dire, je leur ai posé la question avant cette entrevue ! (rires) Voilà ce qu’ils ont mentionné principalement : autodisciplinée, intelligente et élégante, instruite, fait preuve d’une grande intelligence émotionnelle.
La gestion du temps rigoureuse est un principe que vous avez appliqué tout au long de votre vie. Est-ce que certains collègues ont du mal à s’habituer à vos exigences ?
Certains partenaires et subordonnés ont pu avoir un peu de mal à s’adapter à mon système au départ, mais après leur avoir fourni des informations et des orientations, ils se sont plus ou moins habitués et le travail ensemble est une expérience harmonieuse et plaisante.
Comment élevez-vous votre fils ; quels principes avez-vous conservés de vos parents et quels nouveaux principes avez-vous adoptés ?
Il ne fait aucun doute que j’ai transmis la gestion du temps et un ensemble de règles de base à mon fils. Je suis fière du fait que tout petit déjà, il avait compris la notion de respect. Je recommande d’établir des règles et de les appliquer de façon démocratique, afin d’éviter les disputes. Je lui dis souvent que la maison est un lieu d’amour, pas de disputes. C’est ma recette pour des relations familiales harmonieuses. Depuis que mon fils a trois ans, nous avons des discussions familiales hebdomadaires et cela contribue certainement à minimiser les conflits.
Cela étant, j’ai également adopté des principes éducatifs modernes. Il a eu plus de choix que je n’en ai eu, par exemple quelles langues apprendre, dans quel pays étudier ou dans quel secteur commencer sa carrière.
Votre fils a-t-il choisi une trajectoire différente de la vôtre ?
En fait, lui aussi s’est tourné vers l’entrepreneuriat. Il est diplômé de l’Université de New York et quand un port de libre-échange a été créé à Hainan, il a ressenti la nécessité de contribuer au développement de l’île et de réussir professionnellement. Il a créé sa propre activité dans la ville principale, Haikou. Mon fils est ma plus grande fierté. Si j’ai accompli quelque chose à ce jour, c’est d’avoir élevé un fils intelligent sur le plan émotionnel.
Parvenez-vous à réserver des créneaux dans votre emploi du temps pour vos loisirs ?
La beauté d’avoir un emploi du temps rigoureusement structuré, c’est que ça me permet de consacrer du temps de qualité à mes proches. J’essaie également de ne pas oublier mon propre bien-être. J’aime aller au spa, prendre un thé avec mes amies en journée, personnaliser des vêtements, randonner, chanter, participer à des clubs de lecture et à des cours de composition florale…
La diversité de vos centres d’intérêt révèle un autre pan intéressant de votre personnalité…
De nombreuses personnes pensent que tous les comptables sont ennuyeux. Il est vrai que j’ai un côté sérieux et discipliné, mais j’ai aussi conservé un sens de l’humour enfantin et je suis de bonne compagnie. J’aime participer à des activités de cohésion d’équipe, même si je veille toujours à adopter un comportement approprié. Et vous devriez me voir avant les festivités du Nouvel An chinois… chaque année, je suis tout excitée à l’idée de cuisiner, de décorer la maison et de composer des bouquets. Comme une petite fille !