Nicolas de Villiers

Reading Time: 11 minutes

Nicolas de Villiers
Grande Ecole 2003
Beaurepaire (Vendée, France)

PRESIDENT DU GRAND PARC DU PUY DU FOU

Nicolas de Villiers, troisième d’une fratrie de sept enfants, a été élevé dans une famille conservatrice en Vendée, dans l’ouest de la France. Son père Philippe est une personnalité publique : il a été candidat aux élections présidentielles françaises de 1995 et 2007, et en 1989, il a fondé le Puy du Fou, un parc d’attractions historique au concept créatif inédit. En 2004, alors âgé de 24 ans et un an seulement après être sorti diplômé d’Audencia, Nicolas a reçu les clés du Parc et en a pris la présidence. À sa place, d’autres héritiers auraient laissé le personnel qualifié faire tout le travail pour se reposer sur leurs lauriers, empocher les dividendes et profiter d’une vie oisive et insouciante. Si ce n’est que c’est à l’opposé des valeurs de Nicolas. Immergé dans la culture du Puy du Fou depuis la naissance, il a passé son enfance dans l’arène ou dans les coulisses et connaît donc le parc dans ses moindres recoins.

Ce bourreau de travail qui aime diriger sur le terrain ne prend jamais de vacances. Il déclare à ce propos : « Je mange Puy du Fou, je rêve Puy du Fou ! » Une foi infaillible dans la mission du parc, un dévouement à toute épreuve et une vision sur dix ans lui ont permis de faire passer le chiffre d’affaires annuel de 18 millions d’euros quand il est arrivé à 125 millions d’euros actuellement. Avec ses spectacles époustouflants et ses hôtels insolites qui font voyager les visiteurs dans le passé, le Puy du Fou s’est imposé comme une référence mondiale dans l’industrie du spectacle. C’est aujourd’hui le premier parc d’attractions en France après Disney et il est régulièrement classé « meilleur parc d’attractions du monde » par les professionnels et les visiteurs.

Nicolas de Villiers se confie avec franchise et simplicité sur son aversion pour l’école, sa relation avec son père et nous explique pourquoi sa quête « va bien au-delà du divertissement ».

Quand vous étiez enfant, vous avez passé beaucoup de temps dans le Parc. Quel effet cela a-t-il eu sur vous ?

Pour moi, l’école était comme une prison. Je détestais ça. Je sais que ça peut sembler exagéré, mais quand j’étais petit garçon, je pensais à Nelson Mandela et je me disais : « S’il peut survivre en prison pendant tant d’années, alors moi aussi ! » Je trouvais l’enseignement ennuyeux et totalement déconnecté du monde réel. Contraint de me plier à cette attitude passive, je n’apprenais rien, ça, c’est sûr.

J’étais rêveur et j’ai eu le privilège de grandir entouré d’acteurs, ce qui a fait naître en moi une fascination pour la scène. Petit, j’adorais monter des spectacles de marionnettes ; et tous ceux qui venaient à la maison avaient l’ordre d’y assister ! J’ai passé mon adolescence à apprendre sur le terrain ce qu’il faut pour monter un spectacle en étant sur scène, dans les coulisses et dans la salle d’écriture.

J’ai également grandi entouré de chevaux et je nourris une réelle passion pour Ia voltige. J’ai participé à des spectacles au Parc dès l’âge de 16 ans. J’ai suivi des cours de théâtre à Paris, mais arrivé à 18 ans, je savais que je n’en ferais pas une carrière. Je suis devenu directeur adjoint pour l’un des spectacles à 20 ans. Je n’avais pas encore réalisé que le Puy du Fou deviendrait un jour ma destinée, mais j’étais déjà passionné par la direction artistique.

Mes parents m’ont laissé choisir ma voie. Ils nous ont laissé une grande liberté, à mes frères et sœurs et à moi, et mon père, qui a fondé le Parc, était en fait soulagé qu’un de ses enfants manifeste tant d’intérêt pour la façon dont fonctionnait le site.

Parlez-nous de vos années à Audencia.

Dans le secondaire, aucun de mes enseignants n’avait pu suggérer une voie susceptible de me convenir. Alors comme de nombreux étudiants en mal d’inspiration, je me suis orienté en droit. Par la suite, quelques amis m’ont recommandé de m’inscrire en école de commerce et j’ai choisi Audencia pour sa réputation, ainsi que sa proximité avec le Puy du Fou. J’ai passé un très bon moment à Audencia, mais comme je montais à cheval cinq jours par semaine au Parc, je n’avais pas beaucoup de temps pour participer à la vie sociale de l’École… juste assez pour pointer mon nez aux grandes fêtes. Ce qui est intéressant, c’est que les camarades de promo qui me connaissaient bien étaient bien plus lucides que moi quant à mon avenir. Ils n’ont eu de cesse de me répéter, jusqu’à ce que je me range à leur avis : « Nicolas, peu importe que tu n’aies pas trouvé ta voie. Il ne fait aucun doute pour nous que tu dirigeras le Puy du Fou, tu es fait pour ça ! ».

Qu’avez-vous pu réutiliser de votre expérience à l’École ?

Grâce à Audencia, j’ai rangé au placard les préjugés que je pouvais avoir sur les enseignants. La plupart étaient ou avaient été dans les affaires, « dans le monde réel », en plus d’être enseignants. J’ai senti que je pouvais enfin bénéficier de leur précieuse expérience.

J’ai également découvert le leadership management. J’ai réalisé que pour diriger une entreprise, il faut comprendre la langue des spécialistes chargés de chaque département, mais qu’il faut essentiellement être un bon généraliste. J’ai vraiment aimé explorer chaque discipline et imaginer à quoi ça ressemblerait de diriger chaque unité du Parc… Cependant, j’avais du mal à en choisir un en particulier, ce qui a posteriori, aurait dû m’indiquer clairement que j’étais attiré par un poste de direction générale.

Pouvez-vous retracer les premières étapes de votre parcours professionnel ?

À la fin de mes études à Audencia, j’ai croisé celui qui était alors PDG du Puy du Fou. Il m’a confié qu’il cherchait un chef d’équipe et il m’a proposé le poste en tant que stagiaire. J’avais déjà accepté un stage chez Deloitte, alors j’ai poliment décliné son offre. Mes amis à Audencia m’ont poussé à mieux y réfléchir : ils savaient que je n’étais jamais aussi heureux que quand je montais des spectacles et aucun ne me voyait en costume-cravate dans un bureau à la Défense (le quartier des affaires de Paris). Il m’a fallu deux heures pour y réfléchir. J’ai rappelé le PDG et je lui ai annoncé, sûr de moi, « J’ai changé d’avis, j’accepte votre offre, bien évidemment ! »

Ainsi, en sortant d’Audencia à 23 ans, je suis devenu chef d’équipe, puis directeur artistique du spectacle « Les Vikings » du Parc. Quelques mois plus tard, le directeur artistique du Parc est parti et je me suis proposé. Il n’y avait pas d’autre candidat évident, alors ils m’ont laissé essayer. Mon premier grand défi fut de superviser le grand spectacle nocturne, qui rassemblait 1 200 acteurs sur scène. Ce fut un succès et quelques mois plus tard, à 24 ans, je suis devenu président du Parc. Ma progression s’est faite par étapes, mais très rapidement.

Comment avez-vous fait pour trouver votre place auprès d’un père aussi charismatique qui avait fondé l’entreprise, près de trente ans avant votre arrivée ?

Quand on est le fils du fondateur, on doit être à l’aise et honnête avec ses origines, ses ambitions et ce qu’on veut apporter sur la table. Je connais plusieurs « héritiers » qui ont repris l’entreprise familiale, mais qui ont fini par jeter l’éponge parce que leurs parents n’étaient pas prêts à se mettre en retrait.

Heureusement, mon père et moi avons toujours eu une relation très ouverte. Il savait que j’espérais superviser plusieurs aspects de l’entreprise. Je l’ai averti que s’il pensait que je n’étais pas fait pour ça, alors il valait mieux que je n’occupe aucun poste de direction. Mais mon père m’a laissé une chance et rapidement, il m’a laissé définir une vision et une stratégie qui m’étaient propres. Certains changements que je souhaitais apporter le laissaient sceptique, en particulier concernant l’expansion à l’international et la diversification dans les domaines de l’hôtellerie et de l’éducation. Mais il m’a laissé faire et il a vu les résultats. Je n’ai pas travaillé dans son ombre et je n’ai pas non plus travaillé en opposition avec lui. Il n’est plus investi dans le fonctionnement des activités depuis un moment, et s’il aime apporter son grain de sel de temps à autre, c’est principalement parce qu’il est curieux des plans artistiques à venir.

On peut dire que la direction du Parc a été votre premier et votre seul emploi. Avoir un « emploi à vie » va à l’encontre des recommandations actuelles en matière de parcours professionnel. Quel est votre point de vue ?

Franchement, je n’y ai jamais pensé. Dans le monde actuel, on change de travail, de voiture, de maison et même de partenaire quand ils ne vous conviennent plus. Personnellement, je crois à la stabilité. Je ne suis pas certain que les personnes de ma génération qui suivent cette injonction à « rester mobile » soient plus heureuses que moi. Ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas le sentiment de passer à côté de quoi que ce soit.

J’ai peut-être conservé le même titre au fil des années, mais mon travail est incroyablement varié. Je voulais raconter des histoires et c’est ce que je suis amené à faire au quotidien. J’ai toujours rêvé d’avoir ma propre ferme et j’ai créé une magnifique ferme biologique. J’adorais les restaurants et aujourd’hui j’en possède 25 ! Et puis j’ai constamment le sentiment d’apprendre, de progresser, de construire quelque chose, de regarder vers l’avenir. J’ai l’impression d’avoir donné corps à 5 % seulement de ce que je veux accomplir.

En français, il y a un dicton qui dit que pour devenir président de la République, il faut y penser à longueur de journée, dès le rituel du rasage le matin. J’ai la même obsession pour ma fonction au sein de l’entreprise. Le jour où j’ai réalisé qu’il était possible, avec de la chance et de la détermination, d’allier ma passion et mon travail, j’ai su que je ne ferais jamais rien d’autre.

Dans l’enceinte du Parc, vous avez construit l’école dans laquelle vous auriez aimé aller quand vous étiez enfant. À quoi ressemble-t-elle ?

C’est une académie où les enfants à partir de trois ans apprennent non seulement le programme scolaire, mais participent également à un programme artistique fantastique afin qu’ils puissent jouer dans l’un des spectacles. Ce programme est centré sur la gymnastique – la base pour les cascades – et le jeu d’acteur. Il y a un esprit communautaire très fort au sein de l’école, le personnel et les enfants de tous les âges s’aident mutuellement. Nous utilisons le Parc comme un terrain d’apprentissage et de jeu à taille géante : les enfants s’occupent de leur propre jardin potager et ils apprennent la biologie avec des animaux vivants – nous sommes allés jusqu’à faire venir des loups dans la salle de classe ! Un Shakespeare imposant a même fait une apparition en costume d’époque et ça a tellement impressionné les enfants qu’ils s’en souviendront toute leur vie.

Le meilleur compliment qu’on me fait, c’est quand les parents admettent que si leur enfant se comporte mal pendant le week-end, ils le menacent de ne pas le ramener à l’école le lundi matin !

Qu’est-ce qui rend votre travail si épanouissant ?

Mon but est de donner du bonheur aux gens à travers l’héritage que nous partageons. Dans les spectacles, nous parlons d’élégance, de courage, d’espoir, et aussi de perte et de souffrance. Tous ces ingrédients artistiques font naître des émotions merveilleuses et universelles. Nous ne catégorisons pas le public par tranche d’âge ; nous voulons que la famille tout entière suive le spectacle et partage ces émotions ensemble. Les spectacles doivent s’appuyer sur une technologie de pointe et sur les contributions d’historiens spécialisés ; mais nous pensons que le public ne devrait pas les remarquer. Nous n’essayons pas de remplacer les enseignants. Ils ont la charge de transmettre les faits et le côté sombre de l’histoire pour que nous ne répétions pas les mêmes erreurs. Notre mission est différente : nous racontons l’histoire de notre pays en nous focalisant sur les légendes. J’adore Game of Thrones, mais les personnages sont tous sombres. Nous prenons le contrepied en montrant comment des hommes et des femmes peuvent être héroïques quand ils sont courageux et généreux. Nous voulons essentiellement inspirer le public en illustrant la grandeur de l’humanité.

Quand je me réveille le matin, je sens que je peux avoir un impact sur la vie des gens en les encourageant à montrer le meilleur d’eux-mêmes et en les réunissant. Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de mettre en lumière tout ce que nous avons en commun.

Quel message aimeriez-vous faire passer aux étudiants à Audencia qui finiront leurs études cette année ?

Faites-vous confiance. Je sais que ça semble bateau comme conseil et que les étudiants l’ont déjà entendu mille fois. Mais c’est tellement vrai. Faites confiance à votre instinct, à votre cœur, et pas tant à votre cerveau – qui tend à trop s’attarder sur les risques. Toutes les personnes que je connais et qui ont réussi ont cette qualité en commun.

Ma deuxième recommandation serait de ne pas sous-estimer la puissance du réseau que vous vous créez par l’École. Avec mes amis d’Audencia, nous utilisons un groupe WhatsApp pour nous informer les uns les autres de nos vies personnelles et également pour demander des conseils professionnels. Vous pouvez former des amitiés qui dureront toute votre vie, alors veillez à entretenir ce réseau.

Pensez-vous que vos enfants dirigeront le Parc un jour ?

Ils ont 16, 14 et 11 ans, et ils sont tous investis dans la vie du Parc d’une manière ou d’une autre. Le plus jeune va à l’école sur le site et les deux autres reviennent le week-end pour aider aux ateliers artistiques et pour participer au spectacle nocturne. Ils ont été élevés dans la culture puyfolaine.

Le week-end dernier, mon cadet m’a demandé l’autorisation de passer la nuit dans le Parc avec ses amis. Il était censé rentrer après le spectacle nocturne, mais il n’est revenu que vers 9 h 30 le lendemain matin et il avait peur de se faire remonter les bretelles. Il s’avère qu’avec ses amis, ils voulaient faire une nuit blanche tous ensemble et voir le jour se lever sur le Parc. Je savais qu’il était sincère et je ne pouvais pas lui en vouloir !

Je crois dur comme fer que la meilleure façon de transmettre sa passion à ses enfants n’est pas seulement de leur déléguer des tâches pratiques, mais également de les encourager à contempler et à comprendre ce qui vous touche. Cela étant, il est encore trop tôt pour savoir si l’un de mes enfants voudra me succéder.

En tant que dirigeant d’entreprise et visionnaire, comment trouvez-vous le bon équilibre entre la nécessité de vous projeter dans l’avenir et le besoin d’être ancré dans le présent pour apprécier les petites victoires dans la vie de tous les jours ?

Je sais clairement où je veux emmener l’entreprise et dans ma tête, je pense toujours sur dix ans. Alors c’est vrai, je dois me rappeler à l’ordre pour apprécier le présent, mais je n’ai pas le sentiment d’avoir besoin de faire une longue pause pour y parvenir.

Typiquement, je ne prends jamais de vacances et mes amis me taquinent souvent là-dessus. Dans ce cas-là, j’attire leur attention sur le fait que cette chouette soirée qu’on passe ensemble est comme un congé pour moi. Je fais de courtes pauses, quelques heures par semaine me suffisent, mais je veille à être pleinement dans l’instant présent : pas de téléphone, pas d’e-mail, une bière fraîche et de bonnes parties de rires. Je prendrai des vacances quand je serai fatigué de tout ça, peut-être dans vingt ans, quand je saurai que j’ai trouvé des personnes, meilleures que moi, pour prendre la relève.

Où votre voyez-vous dans dix ans ?

Je me vois occuper le même poste tout en dirigeant davantage d’entreprises. Notre avenir repose sur notre diversification ainsi que sur notre expansion dans de nouveaux territoires. Je me donne 10 à 15 ans pour faire du Puy du Fou une marque mondiale, à l’image du Cirque du Soleil.
Les Américains nous demandent souvent comment notre modèle et l’essence de notre marque peuvent être exportés à l’étranger. Je leur réponds de visiter Puy du Fou España : très peu de visiteurs savent que l’entreprise qui en est à l’origine est française. Notre philosophie est universelle et peut être adaptée, à condition que les histoires racontées soient ancrées dans la culture et le patrimoine du pays. À cet égard, et à bien d’autres, notre modèle est différent de celui de Disneyland. C’est pourquoi mes homologues chez Disney nous respectent : contrairement à de nombreux parcs, nous ne cherchons pas à les imiter.

Avez-vous prévu quelque chose pour le week-end ?

Nous donnons les deux derniers spectacles nocturnes, avec un événement majeur à la clé. Nous attendons des invités spéciaux, alors je vais passer mon samedi à être dans les relations publiques. Et dimanche, je m’envole pour l’Espagne, pour assister à des réunions à Tolède. C’est un week-end classique pour moi et j’ai hâte d’y être : je vais rencontrer des personnes nouvelles et intéressantes… l’un des cadeaux les plus précieux de la vie ! La seule chose agaçante, ce seront les deux heures de vol avec le masque !

You May Also Like

Jon Harr

Cyrille Glumineau

Elisabeth Gautier

Delphine Francois Chiavarini