Jon Harr

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Jon Harr
MBA 2005
Oslo

Directeur des opérations – Andøya Spaceport

Jon Harr (MBA 05), 50 ans, est originaire d’Oslo. Après une carrière d’ingénieur puis de directeur de projets au CNES à Toulouse, il retourne en Norvège pour y diriger l’Agence Spatiale Norvégienne. Depuis 2022, il est Directeur des Opérations d’Andøya Spaceport, le premier spatioport établi en Europe continentale, situé dans l’archipel des Vesterålen dans le nord de la Norvège, qui prépare actuellement le premier lancement orbital d’un satellite de télécommunication depuis l’Europe.

Marié à une Française, d’ascendance canadienne, Jon parle couramment le Français, aime le jazz manouche et la science-fiction et affiche en toutes circonstances un sourire réservé mais pétillant.

Jon, votre parcours est aussi rectiligne que sinueux

Parce que j’ai mixé des études d’ingénieur et de philo ? Ou parce que je suis Norvégien, marié à une Française, ayant travaillé à Toulouse et Kourou avant de revenir vivre en Norvège ?

Les deux ?

(Rires) J’ai démarré des études d’ingénieur en télécommunication à l’Université des Sciences et Techniques de Trondheim en Norvège, sans véritable plan de carrière. J’avais déjà un besoin de diversité et de compréhension du monde un peu différent des autres. Et comme ce besoin n’était pas satisfait, je me suis vite ennuyé dans mes études.

C’est pour cela que j’ai interrompu mon parcours scientifique pendant un an pour aller voir du côté des sciences humaines et de la philosophie. J’avais envie d’humain, de culture, de politique et de clés pour comprendre les sciences qui reposent toutes sur des hypothèses et axiomes posés par les grands philosophes.

La science démontre des théories, mais ne permet pas toujours de remonter à l’origine du pourquoi. J’en avais besoin, besoin de remettre en cause les vérités scientifiques pour renouveler mon intérêt,et puis à la fin, revenir sur la terre ferme. Me dire que ce n’est pas si mal finalement, d’accepter que 2+2 = 4 et que cette équation toute simple nous permet d’avancer au quotidien et de construire un monde dans lequel l’humain vit mieux.

A travers les sciences ou la philosophie, cette question de l’humain a pour moi toujours été centrale. C’est sans doute ce qui m’a mené à Audencia également.

Vous n’êtes pas arrivé directement à Audencia pour autant ?

Non ! J’ai d’abord repris mes études d’ingénieur et en dernière année, j’ai fait un stage au CNES. Un pur hasard : personne ne connaissait l’agence spatiale de Toulouse et l’environnement francophone faisait peur, donc j’ai été le seul candidat.

Au CNES, j’ai atterri dans l’environnement très technique des radars et télécommunications par satellite. On menait des projets en collaboration avec la NASA de télédétection par satellite et de surveillance de l’environnement, des courants maritimes, etc. On s’occupait des équipements à bord des satellites, puis des lancements, et du suivi après la mise en orbite, le recueil des premières données… C’était incroyable.

Je suis resté quatre ans avant d’être rattrapé par mon goût de l’humain et l’envie de faire un MBA pour acquérir des compétences managériales. Audencia proposait un tout nouveau programme, avec une belle logique internationale – et pour moi, c’était aussi une formidable opportunité d’être proche de ma future épouse qui étudiait à Rennes.

Que vous a apporté ce MBA ?

Beaucoup, beaucoup de choses. En réalité, j’ai travaillé bien plus que je ne l’avais anticipé. Je pensais apprendre le management, mais j’ai appris beaucoup d’autres choses. Par exemple, cette idée que l’écologie, les valeurs, l’éthique, ce n’est pas incompatible avec le business. Cet aspect-là était déjà très présent à Audencia et ça m’a réconcilié avec l’image que j’avais du monde du business.

J’ai réalisé mon mémoire de MBA sur le knowledge management, en m’appuyant sur l’observation des équipes internationales d’HP Services à Grenoble. En 2005, on ne parlait pas encore de télétravail, mais eux collaboraient déjà d’un continent à l’autre, au sein de mêmes équipes. Ils n’avaient pas TEAMS mais utilisaient un SharePoint et leur manière de travailler était passionnante, très avant-gardiste.

Vous êtes cependant retourné à vos premières amours ?

Oui, le CNES m’a proposé une nouvelle mission et j’y suis donc retourné. Je suis devenu le plus jeune Chef de Projet au CNES pour mettre en orbite un satellite suédois. Habituellement, ce sont des gens beaucoup plus expérimentés qui se voient confier ces missions, mais c’était passionnant : j’ai pu mettre en application immédiate ce que j’avais appris à Audencia.

Ensuite, j’ai saisi l’opportunité d’une vie en partant pour Kourou en Guyane Française, pour diriger des opérations de lancement : le poste le plus intéressant de ma carrière. Je supervisais les lancements de A à Z pour Ariane V, Soyouz ou encore Vega. Sur ces projets-là, tu n’as pas le droit à l’erreur : le risque de chute est colossal.

D’un point de vue personnel, nous avons passé six belles années en Guyane, avec mon épouse, mes deux enfants et le troisième qui est né là-bas. La Guyane est un endroit très particulier. Les gens imaginent que c’est une île mais pas du tout. C’est un morceau de France et d’Europe sur le continent Américain, sous les tropiques, en pleine forêt Amazonienne.

Et aujourd’hui, où en êtes-vous ?

Nous nous sommes installés en Norvège à la rentrée 2016, quand j’ai quitté le CNES pour rejoindre l’Agence Spatiale Norvégienne avec l’idée de collaborer sur le projet très ambitieux d’établir le premier pas de tir pour satellite en Europe continentale. Aujourd’hui, toutes les opérations européennes se font depuis Kourou : demain, l’Europe doit avoir une solution « locale. »

Après avoir été responsable des programmes de satellites norvégiens puis Directeur de l’Agence Spatiale Norvégienne – un poste très bureaucratique, j’ai rejoint en 2022 le consortium privé en charge du développement du pas de tir à Andøya pour superviser la préparation des opérations de lancement. Nous préparons le premier lancement pour la fin 2023 : nous devons tout écrire, les processus, les manuels d’exploitation, mais aussi tout construire, tester et préparer. C’est un travail titanesque et je crains souvent d’oublier des choses en route.

Vous parlez de peur, de stress et de risque, omniprésents dans votre métier. Comment gérez-vous ?

En maîtrisant la technique, les processus et en multipliant les contrôles qui permettent de réduire les risques.

Au CNES, où le risque est une fonction de la probabilité et de la conséquence, nous avions une approche très méthodique. Certains risques étaient inacceptables (perdre une vie humaine) ; d’autres (perdre un satellite), tolérables sous conditions, même si on multipliait les vérifications pour réduire les probabilités et atténuer les conséquences d’un échec potentiel.

Aujourd’hui, mon environnement a une tout autre approche. Dans le New Space, les investisseurs sont prêts à prendre beaucoup plus de risques si le gain potentiel est proportionnel. Les technologies utilisées sont beaucoup moins validées, on prend des composants disponibles dans le commerce pour construire des satellites plus vite et moins chers. Une fois sur dix, voire sur cinq, le satellite peut être perdu, mais on se l’autorise, car le gain potentiel est supérieur à la probabilité du risque.

Le risque, c’est donc toujours une question de calcul : en avoir conscience diminue le stresse. Moi, ce qui me stress aujourd’hui, c’est plutôt la charge de travail : c’est plus personnel et je le gère de manière plus intime aussi. En pratiquant le sport et en passant du temps dans la nature à vélo, à pied, en ski comme tous les Norvégiens, et même à la rame. J’ai retapé un vieux bateau Viking dont je me sers dans le Fjord d’Oslo l’été.

Je déconnecte aussi complètement le week-end et pendant les vacances. Là-dessus, la Norvège a une très belle culture : quand on est off, on est off ! Ici, la famille et le temps qu’on lui consacre occupent une place importante et respectée.

La Norvège et la France ont-elles des cultures du travail très différentes, selon vous ?

Je dirais qu’en France, les responsabilités sont plus concentrées entre les mains de quelques dirigeants. En Norvège, la décision est plus collective. C’est plus lent, mais ça favorise l’adhésion du collectif.

La sociabilité au travail est aussi assez différente. En France, on a besoin de bien se connaître pour bien travailler et on passe du temps ensemble pour faire connaissance. C’est quelque chose que j’apprécie, même si cela rallonge pas mal les journées. Les Norvégiens n’ont pas besoin de ça : la confiance y est automatique, fondamentale. Si j’appelle un fournisseur pour acheter un service, je n’ai pas besoin de recommandation extérieure ou de vérifications : je sais que je peux lui faire confiance.

Les économistes sont formels : cette confiance institutionnalisée vaut des milliards. Et on gagne un temps fou. Chaque transaction est plus efficace : en Norvège, quitter le travail à 16h00 est normal. En revanche, ça manque un peu de chaleur humaine.

Ça donne effectivement un peu de temps libre, vous en faites quoi ?

Quand je ne suis pas dans la nature, j’aime la lecture. Je lis de la science-fiction et en ce moment, je dévore The Dark Forest de Cixin Liu, la suite de The Three-Body Problem. Je suis aussi un passionné de musique et de jazz manouche.

D’ailleurs, j’aurais adoré prendre une autre année sabbatique dans ma jeunesse pour jouer de la guitare. Les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup moins complexés que nous par rapport à ça : nous, on était trop sérieux. Eux ont compris qu’il y a plein de manières de gagner sa vie et que l’existence est savoureuse quand elle est multi-expérientielle.

La science-fiction, ce regard particulier de la planète que vous observez d’en-haut, cela vous inspire-t-il un peu d’éco-anxiété ?

Pas tant que ça, car j’ai un regard constructif sur les choses. Je vois bien qu’on va dans le mur, mais mon rôle d’ingénieur, c’est de savoir comment je peux contribuer à limiter la casse.

À quoi ressemble demain, pour vous ?

À un premier lancement réussi ! Ensuite, il faudra monter en charge, sortir de l’artisanat dans lequel on est aujourd’hui. Je sais que mes expériences Audencia seront bien utiles pour ça.

Et vos enfants, ils rêvent aussi des étoiles ?

D’une carrière scientifique, certainement. Ma femme, qui est médecin, aurait bien aimé que l’un d’entre eux prenne son relais, mais ils ont l’air plus intéressés par la technique. Le petit dernier aimerait être… astronaute !

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