Estelle Nze Minko

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Estelle Nze Minko
SciencesCom 2015
Györ (Hungary)

HANDBALLEUSE PROFESSIONNELLE, ENTREPRENEURE

Quand on rencontre Estelle Nze Minko, demi-centre de l’équipe de France de handball féminine, on est d’abord frappé par sa nature extravertie, rebelle et entière. Cependant, il ne faut pas beaucoup de temps pour découvrir son côté fragile, sensible et empathique. Estelle a remporté le Championnat du monde en 2017, l’Euro en 2018 et une médaille d’argent aux Jeux olympiques de 2016. Elle joue pour Györ en Hongrie, le Graal pour les joueurs de handball. Manifestement, ses vulnérabilités ne l’ont pas empêchée d’exceller dans sa discipline. Pourtant, sa personnalité complexe et tout en nuances tranche avec l’image de machines à gagner impitoyables que l’on se fait des athlètes professionnels. Estelle est de plus en plus frustrée par le stéréotype de « l’athlète parfait » et elle a commencé à utiliser sa notoriété pour tordre le cou à quelques tabous.

L’un des mythes qu’Estelle réfute, c’est que les athlètes de haut vol doivent être obsédés par leur sport, rien que par leur sport. C’est pourquoi l’an dernier, Estelle a lancé sa start-up, The V Box. « Mais je ne veux pas être associée à ces footballeurs qui investissent dans un bar à chicha, juste pour se faire de l’argent facile… si vous voyez ce que je veux dire ! » Elle souligne que pour elle, cette activité est une aventure, plus qu’une entreprise. Féministe des temps modernes, cette entrepreneure fait voler en éclats l’idée du marketing à l’ancienne qui voudrait que les femmes ne se soucient que de la beauté, en imaginant une nouvelle génération de coffret cadeau.

Estelle, diplômée d’Audencia SciencesCom, trouve le monde des médias à la fois intimidant et fascinant. Elle nous raconte comment l’art de communiquer s’est avéré essentiel, à la fois pour que son entreprise réussisse et pour faire bouger les lignes dans le monde des sports de haut niveau.

Avez-vous été élevée par des parents fadas de sport ?

C’est tout le contraire ! Je suis née à Saint-Sébastien-sur-Loire, une petite commune près de Nantes. Je suis métisse ; ma mère est française, elle enseigne le français, et mon père et né au Gabon dans une fratrie de 17 enfants. Ses parents ont détecté son haut potentiel académique très tôt et quand il a eu douze ans, ils l’ont envoyé seul vivre chez une tante en France afin qu’il puisse recevoir une meilleure éducation. Il est devenu technicien de service chez ArcelorMittal où il a fait toute sa carrière.

Mes parents attachent tous deux de l’importance à une éducation académique traditionnelle et leur objectif était que j’obtienne une qualification et que je trouve un travail sûr. Leurs préoccupations étaient représentatives d’une génération pour qui la réussite, c’était d’avoir trouvé un travail pour la vie. J’étais également leur aînée (j’ai deux petits frères), alors ils avaient à cœur de savoir comment ils pouvaient m’offrir la meilleure éducation possible. Ils m’ont mis une pression énorme, mais je les comprends mieux maintenant que j’envisage à mon tour de devenir mère un jour.

Petite, je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie ; mais je savais que je voulais un travail atypique. Je voulais trouver des projets inspirants et gratifiants, plutôt qu’une carrière brillante au sens traditionnel. Sur le plan scolaire, j’avais de bons résultats parce que mes parents étaient derrière moi. Mais sur mes bulletins scolaires, on trouvait invariablement des commentaires sur mes bavardages et mon manque de concentration. J’étais garçon manqué, ce qui rendait mes parents fous, et un peu rebelle, j’aimais jouer avec les règles.

Je ressentais le besoin de faire de l’exercice et j’adorais le sport. Certaines années, j’étais inscrite à cinq sports différents et mes parents devaient sans cesse me conduire d’un entraînement à un autre. J’ai commencé le handball à l’âge de 12 ans et quand j’en ai eu 15, j’ai eu l’opportunité d’intégrer le « Pôle Espoir », une structure pour les jeunes joueurs qui combine l’apprentissage du programme scolaire et les entraînements sportifs. Mes parents n’étaient pas à l’aise avec l’idée, mais une fois qu’ils ont été rassurés sur le niveau d’enseignement, ils m’ont donné leur feu vert. 

Parlez-nous de vos études à Audencia SciencesCom.

J’ai fait un bac scientifique parce mes parents pensaient que ça m’offrirait davantage d’opportunités, même si j’avais plus d’affinités pour les lettres. À 17 ans, j’ai signé mon premier contrat professionnel. En parallèle, j’ai commencé à étudier la psychomotricité, une discipline pour laquelle je n’avais aucun intérêt quand j’y repense. Au bout de deux ans, j’ai décidé d’arrêter, mais je ne pouvais pas l’annoncer à mes parents avant d’avoir établi un plan B. Je me suis inscrite à un cours en communication et médias et après cela, j’ai été acceptée à SciencesCom. Ce programme à Audencia m’a vraiment ouvert les yeux. Cela m’a permis d’appréhender les médias différemment, de découvrir ce qui se trame en coulisse et d’être plus curieuse.

Le hic, c’est que la même année, j’ai rejoint l’équipe de France. J’ai dû concilier les cours, les projets de groupe et les entraînements deux fois par jour avec mon club, en plus des compétitions internationales. Sans oublier les fêtes occasionnelles ! Heureusement, Audencia m’a autorisée à faire mon mastère sur deux ans, mais ces deux années furent plutôt intenses ! Je me sens si chanceuse d’avoir été acceptée dans une école de bonne réputation qui offrait également de la souplesse. C’est quelque chose que les athlètes professionnels ont souvent du mal à trouver.

Qu’est-ce qui a changé dans votre vie après votre arrivée dans l’équipe de France ?

C’était un changement énorme en termes de rythme, de discipline et d’engagement. La performance était d’un autre niveau et j’étais rongée par le syndrome de l’imposteur. Je me souviens avoir entamé l’hymne national français et avoir regardé mes coéquipières en me demandant ce que je faisais là. La pression est considérable quand on joue avec un maillot sur lequel votre nom est inscrit en grosses lettres, dans des stades de plus de 10 000 spectateurs, quand les matches sont diffusés à la télé et qu’on doit affronter la presse. Sous mon apparence extravertie, j’ai toujours eu du mal à croire en moi. Et pourtant, sans trop savoir comment, j’ai réussi à franchir cet énorme pas. Je connais de nombreuses joueuses compétentes qui n’y sont pas parvenues, parce qu’elles n’arrivaient pas à gérer la pression. Paradoxalement, je pense que j’ai été tellement dépassée que je me suis désinhibée et j’ai simplement suivi le mouvement au lieu d’essayer de tout contrôler.

Pouvez-vous mettre le doigt sur l’instant le plus fort en émotions de votre carrière sportive ?

Les Jeux olympiques ont été une expérience extraordinaire, évidemment. Mais ma compétition la plus spéciale, c’est le Championnat d’Europe que nous avons gagné en décembre 2018, en France. L’Euro, c’est le summum en termes de niveau de jeu pour mon sport, alors c’est le défi le plus prestigieux. La deuxième rencontre se déroulait à Nantes et c’était incroyable pour moi de jouer devant toute ma famille, mon enseignante de première année et tous ceux qui m’avaient vue grandir. Les célébrations qui suivent la victoire sont évidemment porteuses de nombreux moments de liesse, mais pour moi, le plus grand frisson, c’est quand tu es sur le terrain pendant la finale, que tu as poussé ton corps dans ses derniers retranchements après des mois de préparation éreintante, qu’il ne reste plus qu’une minute de jeu et que tu sais que tu as gagné.

Ça fait du bien de se remémorer ces moments, parce que je traverse actuellement une phase où mes performances sont moins bonnes et c’est effrayant, parce qu’on ne sait jamais quand on va rebondir. Les athlètes professionnels ont tendance à penser que chaque match décevant est comme la fin du monde. On prend rarement du recul pour apprécier tout le chemin parcouru.

Pourquoi avez-vous décidé de faire entendre votre voix pour casser l’image de « l’athlète parfait » ?

Pendant un temps, comme beaucoup d’autres, j’ai été naïve et j’ai adhéré à l’idée qu’un athlète doit fonctionner comme une machine infaillible et sans cœur pour parvenir au sommet et pour y rester. À mesure que je m’immisçais dans le monde du sport de haut niveau, que je gagnais en maturité et que j’apprenais à mieux comprendre le cirque médiatique, ma frustration a grandi et j’ai décidé de donner ma version des choses. C’est important pour moi d’utiliser ma notoriété publique pour parler de sujets qui me sont chers, d’autant plus que ma popularité sera de courte durée. Par exemple, j’ai été de plus en plus agacée de voir que l’incidence des menstruations des athlètes féminines est encore un sujet tabou. J’ai écrit un post là-dessus sur Instagram et j’ai été choquée par le nombre de réactions positives qu’il a généré, de la part d’autres femmes athlètes, entraîneuses, kinés, etc.

Je suis fatiguée de la règle implicite qui voudrait que les médias sociaux servent uniquement à faire rêver les gens. Je trouve qu’il est bien plus intéressant de partager des messages sur la précarité menstruelle que des photos de moi prenant la pose sur un bateau !

Quand les gens me regardent sur le terrain, ils ne détectent pas de vulnérabilité particulière. Par conséquent, ils pensent qu’il m’est naturel de parler de moi en public. Mais j’ai dû me faire violence et progressivement, j’acquiers suffisamment de confiance en moi pour parler de choses qui me tiennent beaucoup à cœur. Et je vois à quel point il est libérateur d’exprimer tout cela, de rester authentique et fidèle à ce que je suis.

Qu’est-ce qui vous a motivée à lancer votre propre start-up ?

Depuis cinq ans, je vis à Györ, une ville hongroise de taille moyenne située à 90 minutes de Budapest, qui offre peu de stimulation culturelle ou intellectuelle. L’an dernier, j’ai ressenti le besoin de me lancer dans une autre activité que le sport. Je voulais me sentir vivante et me prouver à moi-même que je pouvais porter des projets et promouvoir des valeurs en dehors du monde du sport.

L’entrepreneuriat semblait une voie évidente. J’avais la chance d’avoir une stabilité financière grâce à ma carrière sportive, alors je n’avais pas la pression de devoir en faire une réussite financière à court terme. Mon concept commercial n’exigeait pas d’investissement massif. Il reposait principalement sur mon aptitude à établir des partenariats solides et à élaborer une bonne stratégie de communication. Les compétitions sportives sont restées en stand-by pendant plusieurs mois au printemps 2020 en raison de la pandémie de COVID-19 et j’étais bloquée en Hongrie. J’ai considéré la situation comme une bénédiction et j’ai décidé d’utiliser ce temps-là pour me concentrer sur mon projet.

Comment vous y êtes-vous prise pour concevoir la marque V Box à votre image ?

J’ai toujours aimé les surprises et c’est pour cette raison que quand j’avais 18 ans, j’ai pris un abonnement à un coffret cadeau. Mais j’ai réalisé qu’en France, le marché des coffrets pour femmes était relativement limité et basé sur un concept daté qui tournait toujours autour de la beauté. J’ai voulu revisiter le concept et tordre le cou au cliché idiot qui voudrait que les femmes se soucient exclusivement de leur apparence. À l’inverse, la V box propose des produits conçus par des femmes pour les femmes, qui sont fabriqués en France et véhiculent de fortes valeurs éthiques. Chaque coffret évolue autour d’un thème particulier : le voyage, la sexualité, la nature, etc. The V Box s’appuie sur des collaborations avec des femmes extraordinaires avec lesquelles je partage certaines valeurs et je suis fière de défendre l’entrepreneuriat féminin. Ces femmes sont bien plus expérimentées, courageuses et talentueuses que moi, et j’ai bénéficié de nos échanges enrichissants. C’est important pour moi de parler de leur histoire autant que de communiquer sur leurs produits.

Est-ce que l’entrepreneuriat est un moyen pour vous de préparer votre vie après le handball ?

Au début, je ne savais pas comment annoncer publiquement cette nouvelle activité et j’avais peur que les gens se trompent sur mes intentions. J’ai supposé que je serais critiquée parce que je me détournais de ma carrière professionnelle et que je mettais mes performances en danger. Il est relativement rare qu’un athlète professionnel au sommet de sa carrière s’investisse sérieusement dans une activité commerciale. Je veux également éviter d’être prise pour un de ces athlètes bien payés qui veulent se faire de l’agent facile en capitalisant sur leur notoriété sportive. Plusieurs experts en communication m’ont conseillé d’utiliser mon profil public d’athlète pour promouvoir mon activité ; mais je cherche encore un moyen de communiquer en utilisant mon double profil d’une façon qui me convienne.

L’un dans l’autre, je suis dans une position bien plus confortable aujourd’hui. J’ai réalisé que mon club n’avait pas de problème avec ce que je fais de mon temps libre, et mon entraîneur de l’équipe de France m’a assuré de son soutien. J’ai la chance d’être entraînée par quelqu’un d’humain, qui me connaît bien et qui comprend mes besoins. Nous sommes tous les deux de l’avis que dans le sport, comme dans tout autre secteur, l’épanouissement personnel fait toute la différence.

On pourrait effectivement penser que je suis en train de préparer un changement de carrière, car j’apprends tellement de nouvelles compétences et je me constitue un tout nouveau réseau. Cependant, ce projet n’est pas une décision calculée pour avoir un boulot une fois que ma carrière sportive sera terminée. Je considère cette initiative comme une expérience plus que comme une entreprise. Honnêtement, je n’ai aucune idée de ce que je ferai dans dix ans, ou même dans cinq ans. En fait, c’est ça qui est si excitant avec l’entrepreneuriat ! Il y a tant d’incertitude et les choses évoluent tellement vite qu’il est presque impossible de faire des plans à long terme.

Quels changements l’entrepreneuriat a-t-il opérés sur vous ?

Ç’a été comme un cours de gestion accéléré ! Ça m’a appris à rester humble et à ne pas croire le mythe que les super concepts génèrent des millions de followers du jour au lendemain. Je me suis mis une pression énorme quand j’ai commencé, mais maintenant, je gère la situation avec plus de patience et de sérénité. Je crois en mon entreprise, je suis plus organisée, ce que j’apprends tous les jours commence à porter ses fruits, et j’essaie d’apprécier chaque petite victoire.

Que pensent vos proches de vos choix de vie ?

Mes parents sont rassurés, enfin ! Même si ma carrière est atypique, ils voient que j’ai acquis une certaine stabilité et que je suis épanouie. Ils sont fiers de ce que j’ai accompli. Beaucoup de mes amis me demandent : « Pourquoi te rajoutes-tu volontairement du travail alors que tu pourrais juste profiter de ton sport et te détendre ?! » Mais mon petit ami, qui a indéniablement une carrière de slasher, pense différemment et il me soutient.

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