Bertrand Vecten

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Bertrand Vecten
MS MROS 1999
Paris


Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF).

Discret par nature, rien ne prédestinait Bertrand Vecten (MOS 99) à entrer dans la légende quand, à l’été 1996, la pointe fine de son bateau fila, pour quelques centimètres à peine, vers l’argent olympique dans l’une des finales les plus serrées de l’histoire de l’aviron. Une médaille dont il parle peu, par pudeur et refus de laisser le passé le définir et de voir la récompense éclipser l’effort et l’aventure humaine qui l’ont fait naître.

Aujourd’hui responsable de la billetterie olympique pour le CNOSF, Bertrand, 51 ans, n’accepte d’ailleurs de témoigner que pour rappeler combien le sport transforme des vies, la sienne en premier, celle d’un petit gars de Compiègne dispensé d’EPS au collège devenu vice-champion olympique.

Quand le rêve olympique a-t-il germé en vous ?

Je n’ai jamais eu l’ambition d’être un champion, ni de battre les autres : je voulais seulement connaître mes limites, voir jusqu’où je pouvais aller. L’idée des Jeux est arrivée au fil de mon parcours, de manière progressive, au fur et à mesure que je franchissais les objectifs fixés par mon coach devenu mentor. En revanche, je me souviens parfaitement de la manière dont j’ai découvert et démarré l’aviron.

Vous ne connaissiez pas l’aviron avant d’en faire ?

Je n’en avais même jamais vu.

Je viens d’un petit village près de Compiègne : je suis le cinquième et dernier enfant d’une famille d’agriculteurs qui ne nous a pas élevés dans une culture du sport et de la performance.

Mais, à l’école primaire, des douleurs régulières au genou m’ont conduit chez le professeur Saillant, le chirurgien de Ronaldo et Schumacher, qui m’a délivré une dispense totale de sport pour m’éviter une opération. Deux ans plus tard, à la fin de ma cinquième, revirement complet : mon genou va mieux et le professeur Saillant m’ordonne de pratiquer un sport.

Il me parle de cyclisme, de natation et d’aviron, un sport porté donc sans risque pour mon genou, et une belle discipline, me dit-il. C’est comme ça que j’ai poussé la porte du club d’aviron de Compiègne.

Comprendre comment bien avancer dans un bateau m’a pris du temps, mais j’ai tout de suite apprécié ce sport de plein air et d’équipe, dans lequel tout le monde s’appelait par son prénom, un vrai contraste avec l’école où le patronyme restait de rigueur. C’était un nouveau monde, pour moi.

Vous n’aviez pas d’ambition de carrière sportive ?

Non ! Mon seul but était d’aller bien physiquement et personnellement. Mais ça n’allait pas plus loin. J’avais toujours l’idée de faire des études pour travailler dans le milieu agricole.

Ma vie a basculé cinq ans plus tard, à 19 ans, à l’arrivée d’un nouvel entraîneur au club. Un an plus tard, mon coéquipier et moi obtenions notre première médaille aux Championnats de France. Je suis entré en équipe de France l’année suivante, tout en continuant mes études, en BTS Techniques de vente en agroalimentaire.

Mais mon équipier a arrêté et l’entraîneur de l’équipe de France m’a appairé avec un nouvel équipier nantais. C’est ainsi que j’ai quitté Compiègne pour atterrir à Nantes.

A quoi ressemblait votre vie ?

Même à haut niveau, l’aviron des années 90 restait un sport amateur donc, il me fallait gagner ma vie. C’est ainsi que j’ai intégré la MAIF, partenaire de la Fédération Française d’Aviron, intéressée par mon profil différent des ingénieurs, kinés ou étudiants en STAPS qui constituaient la majorité des autres rameurs.

L’aviron est une discipline d’engagement et de fond, où le ratio d’entraînement est de 95% pour 5% de compétitions : trois weekends qualificatifs pour les Championnats de France, trois régates européennes et les Championnats du Monde. Donc, nous nous entraînions sur l’Erdre, matin et soir, avant ou après le travail. Ça faisait des journées bien chargées, avec peu de temps de récupération : je faisais deux journées en une, disait l’un de mes amis.

En 1994, nous sommes finalistes aux Championnats du Monde d’Indianapolis en Huit, puis l’année suivante, 4ème en Quatre Sans Barreur en Finlande, ce qui nous vaut de qualifier le bateau pour les Jeux d’Atlanta, accessibles pour la première fois par quota.

En 1996, donc, après des mois de préparation, les entraîneurs nous renouvellent leur confiance pour emmener le bateau aux Jeux où nous terminons 2ème, un cheveu devant les Anglais. Cette médaille olympique, c’est une très belle réussite sportive, mais surtout, une aventure humaine et un véritable accomplissement personnel.

Vous donnez parfois l’impression de vous être laissé guidé.

Peut-être. Une chose est sûre, j’ai beaucoup travaillé sans me poser de questions. Chaque fois que je cochais une case ou remportais une victoire, je voulais aller voir plus loin. Je ne cherchais pas à être le meilleur ou à gagner de l’argent, mais à repousser mes limites. Cette notion de progression est au cœur de tout mon parcours.

C’est comme ça que je suis entré en équipe de France espoirs, en m’entraînant à corps perdu, matins et soirs, tout un été, pour mériter une place que l’entraîneur m’avait mise en carotte d’une qualification aux Championnats de France.

Je me suis construit comme ça, en m’accrochant et en bossant, et c’est ce que j’essaie de transmettre à mes enfants, même si je n’aime pas trop parler de moi. Je ne suis d’ailleurs pas sûr que mes enfants aient déjà vu ma médaille et mon fils de 16 ans n’a regardé la finale olympique sur Internet qu’il y a quelques semaines.

Vous n’avez pas eu envie de les pousser dans le sport ?

Je préfère les laisser découvrir. Ils ont fait un peu d’aviron, mais pas plus que ça. Ils papillonnent, changent d’activité tous les deux ou trois ans. C’est contraire à ma philosophie de vie, car je crois que rien ne vient seul, sans travail. Mais c’est à eux de le comprendre par eux-mêmes.

L’essentiel est qu’ils aient une activité physique et fassent leurs expériences, qu’ils trouvent leur voie. J’aime l’idée de transmettre sans formater. Aujourd’hui, mon aînée veut partir à l’étranger et ma cadette, nettoyer les océans. Mon fils, lui, s’intéresse à l’armée. Je les encourage dans leurs projets et les soutiens, dans la mesure de mes possibilités. Mais si dans six mois ou dans dix ans, ils veulent changer, je les accompagnerai encore. On a tous le droit à l’erreur, l’essentiel étant de ne pas se laisser dicter des choix par une tierce personne.

Racontez-nous ce qui vous a conduit du podium d’Atlanta aux bancs d’Audencia.

En 1996, j’ai atteint mon sommet. Je me doutais qu’il serait difficile de faire mieux. Après les Jeux, je suis retourné à la MAIF, mais j’ai vite eu envie de changement et demandé une formation.

Audencia était à deux pas de la base d’entraînement et son tout nouveau MSc Management des Organisations Sportives était très prometteur. C’était le seul mastère spécialisé dans le sport adossé à une grande école à l’époque : un atout énorme. La largeur du spectre des intervenants et leur ouverture d’esprit ont été une grande richesse et un vrai challenge pour nous.

Au fond, je n’ai qu’un seul regret : avoir manqué de stratégie en choisissant mon club d’origine, à Compiègne, pour mon stage de fin d’études. C’était court-termiste et trop dans ma zone de confort. Je ne me suis pas assez stimulé pour découvrir de nouveaux horizons et je l’ai toujours regretté.

En même temps, ce n’était pas simple de cumuler l’aviron et le MOS

C’est vrai. J’ai soutenu mon mémoire fin 1999 et, en parallèle, j’ai pris la décision d’arrêter l’équipe de France. Je n’arrivais pas à soigner une blessure récurrente et je n’adhérais plus au système mis en place. Le groupe ne me convenait plus et je ne voyais pas comment nous pourrions rééditer l’exploit d’Atlanta dans ces conditions.

J’ai largué les amarres de l’équipe de France à quelques mois des Jeux de Sydney. J’ai rejoint un ami en Angleterre pour tourner la page en me lançant le défi d’apprendre l’anglais. Une sorte d’année de césure qui m’a beaucoup ouvert sur les autres et le monde. Moi, le casanier et routinier, ce que le sport de haut niveau avait amplifié dans mon caractère, j’ai fait beaucoup de rencontres et de découvertes en Angleterre. Et j’ai aussi retrouvé le plaisir de l’aviron dans un club local.

La reconversion des sportifs, en 2000, ce n’était pas un sujet tendance : vous vous êtes débrouillé tout seul ?

Oui ! Après l’Angleterre, j’ai travaillé pour un distributeur de matériel sportif spécialisé (rameurs, vélos d’appartement, etc.). Une petite structure familiale, comme une équipe, dans laquelle je m’occupais du marketing et du développement commercial, avec un double avantage pour moi, d’être à la fois toujours en mouvement mais aussi très cadré. Cette routine dynamique m’allait bien et me stimulait.

J’y suis resté seize ans, jusqu’à ce que je ne me sente plus en phase avec le management. Je sentais les beaux projets qui m’échappaient et que le moment était venu de partir. À ce moment-là, j’ai connu une période de grande errance professionnelle, avec deux expériences très courtes entrecoupées de quelques mois de chômage. Je n’allais pas fort d’un point de vue personnel non plus, car j’étais en plein divorce, et je cherchais le projet qui allait me remettre en selle. Je naviguais à vue !

Et puis j’ai rencontré le CNOSF en répondant à une annonce pour une création de poste en lien avec l’héritage des Jeux. Le projet a été repoussé deux fois, puis annulé à cause du COVID et des changements de gouvernance, mais j’ai trouvé ma place dans l’organisation. Aujourd’hui, je m’occupe de plusieurs projets en lien avec les Jeux de Paris 2024, notamment la billetterie pour nos fédérations membres, les bénévoles des clubs, les supporters et les familles d’athlètes : un sujet complexe à cause des contraintes fortes sur la billetterie – digitale, nominative et infalsifiable – et des nombreuses attentes à satisfaire. Mais c’est nouveau et passionnant : une vraie découverte.

Que retenez-vous de votre parcours depuis le MOS ?

Ce que je fais aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec ce que j’ai appris il y a vingt-cinq ans, mais le MOS a été un véritable accélérateur de ma reconversion. Il m’a permis de transiter et de basculer vers autre chose. Et il m’a donné la légitimité d’un diplôme : c’était essentiel dans ma tête.

Mais si je pouvais conseiller l’étudiant que j’étais, je me dirais de mieux choisir mon stage, d’être plus stratégique, un côté qui m’a toujours manqué. Les stages impactent la première expérience professionnelle, avec de facto une influence sur la suite d’une carrière. Ceux qui ont bien démarré ont eu très vite accès à des postes élevés dans de grandes entreprises comme Nike ou la FDJ. Ils ont aussi une exposition au risque moins élevée à long terme et sans doute des fonctions plus épanouissantes. Alors, choisissez bien !

Et pour la suite ?

Je crois à la force des rencontres. A posteriori, j’en ai recensé trois qui s’avèrent avoir été déterminantes dans mon parcours. Après un long passage difficile, je pense avoir retrouvé le bon mindset, celui qui permet de réussir. Je sens, j’espère, que les planètes s’alignent de nouveau pour moi.

Vous faites toujours du sport ?

Je nage en club deux fois par semaine depuis dix ans et je fais une ou deux épreuves en eaux libres chaque année. Je cours aussi, une heure de temps à autre, mais de moins en moins souvent, car les coureurs trailers que je fréquente sont formidables, mais capables de courir des longues distances que j’évite par crainte de blessure.

Le sport reste au cœur de ma vie et donc de mon avenir professionnel, que ce soit autour de l’entreprise ou de l’héritage immatériel des Jeux, cette empreinte sportive qu’ils laisseront sur notre quotidien. Car nous vivons sur une bombe sanitaire en puissance que l’activité physique peut désamorcer. Je veux participer à cette aventure-là.

Peut-être en partageant la manière dont le sport a réécrit mon destin tout tracé et ce qu’il m’a donné, cette combattivité qui me sert au quotidien et que j’essaie d’insuffler autour de moi, avec ma compagne en particulier, qui lutte avec détermination contre la maladie. Car ce n’est pas toujours sur les podiums qu’on trouve les plus grands champions.

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