Alexandra Renard

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Alexandra Renard
SciencesCom 2000
Paris

Reporter France 24

Alexandra Renard est ce qu’on appelle un grand reporter. Après avoir roulé sa bosse dans plusieurs médias audiovisuels, elle a posé ses valises – façon de parler – à France 24 où elle travaille en tant que journaliste reporter d’images puis grand reporter depuis 2006. Très tôt lui vient la vocation du métier qui va la mener à intégrer SciencesCom, l’école de la communication et des médias d’Audencia, puis à barouder dans une cinquantaine de pays où elle couvre notamment des conflits. Alexandra a risqué sa vie plus d’une fois pour nous informer…

Aujourd’hui, alors qu’elle a donné naissance à sa fille Maxance il y a 15 mois, elle part moins loin et moins longtemps. Mais ce métier, elle l’a dans la peau. Ça s’entend et ça se sent. De cette expérience de grand reporter, Alexandra aime parler. C’est du reste ce qu’elle fait en tant qu’enseignante à l’école de journalisme de Sciences Po. Rien d’étonnant quand on sait que l’envie de transmettre l’anime depuis l’adolescence. Un des aspects de sa personnalité que nous allons découvrir au fur et à mesure de notre entretien, une interview sur le fil réalisée sur son lieu de travail.

Alexandra nous a prévenues : à tout moment, elle peut interrompre notre échange pour se rendre sur le terrain... au plus près de la vie des gens !

À quel moment avez-vous ressenti l’envie de devenir journaliste ?

J’ai choisi de devenir journaliste à 12 ans sans trop savoir pourquoi ; il n’y avait pas de journaliste dans mon entourage. J’ai du reste hésité avec professeur, juge ou avocat. Des métiers qui se ressemblent par certains côtés : j’étais animée par le fait de servir à quelque chose et l’envie de transmettre. Mais, le journalisme, qui s’est finalement imposé comme une évidence, me faisait davantage rêver parce qu’on rencontre des gens et que, naïvement, je pensais que la photo et les interviews permettaient de raconter la vérité. En grandissant, j’ai compris que le choix du cadre, de l’angle, et du moment choisi pour déclencher une photo peut dire tout et son contraire. Et puis, c’est aussi la vie qui a décidé de mon parcours. À 12 ans, ma mère me décroche un stage à Presse Océan, le quotidien régional de la Loire-Atlantique – j’habite Les Sables d’Olonne à l’époque. Un stage où je participe à l’élaboration des articles, je vais sur le terrain, je prends des photos. Cela m’a confortée dans mon choix.

Votre goût pour la vidéo est également apparu précocement ?

À 14 ans, à l’occasion de mon stage de 3e, je couvre le départ du Vendée Globe pour Ouest France. Je me retrouve sur le plus gros bateau à 3 heures du matin, y’a une houle incroyable… et j’expérimente une autre facette du métier : le côté explorateur. Je me dis que c’est vraiment ça que je veux faire. Pour ce reportage, j’écris et je fais des images. Peu de temps après, en menant des recherches dans un Centre de documentation et d’information, je découvre le métier de journaliste-reporter d’images (JRI). C’est une révélation car grâce à la vidéo et au son, je me dis qu’on ne peut pas être plus proche de la vérité quand on est sur le terrain. Mais, je ne me sens pas d’intégrer les grandes écoles de journalisme, qui sont souvent basées à Paris et qui me semblent hors de portée, géographiquement et intellectuellement. Je suis née dans une petite ville, de parents ayant travaillé jeunes. Et je suis une fille. Tout cela favorise souvent la sous-estimation de soi dans notre société.

Je décide de prendre une autre voie, de me former via des stages et de façon autodidacte. Ainsi, après mon bac, je suis partie un an aux États-Unis via un programme d’échange. Les gens qui m’accueillent sont des retraités du Minnesota et ils décident de me déscolariser un mois – je dois intégrer un lycée – et de m’emmener sur les routes du pays. Ce qu’on a continué à faire durant les week-ends et les vacances. En un an, on a traversé 40 États, c’était incroyable. Je filmais parfois les endroits où nous passions, je rencontrais des journalistes là où on s’arrêtait et je les suivais sur leurs reportages. Mon objectif, c’était de devenir bilingue et de voyager. Missions accomplies.

Quand vous rentrez en France, vous démarrez des études supérieures ?

Oui, j’intègre la filière LEA (Langues étrangères appliquées) à l’université de Nantes. Je choisis comme langues l’allemand et l’anglais. Je suis aussi des cours de droit international qui me seront utiles plus tard. Dans le même temps, je continue à faire des stages. Je suis notamment prise à M6 Nantes où je découvre les formats courts et où on m’apprend le maniement d’une caméra. Je passe mes week-ends avec un JRI qui me transmet son savoir. J’ai eu beaucoup d’anges gardiens dans mon parcours, ces journalistes de M6 en font partie.

Je poursuis mes études en LEA jusqu’à la maîtrise et je m’aperçois que le fait de ne pas avoir intégré une école de journalisme constitue un frein à mon embauche dans un média. C’est là que je fais le choix d’intégrer le master 1 d’Audencia SciencesCom, une école qui me permet d’être rapidement opérationnelle, de devenir résistante car on travaillait dur – on allait au fond de nos sujets et on devait performer dans tous les domaines même si on avait le droit à l’erreur -, mais aussi de rencontrer des personnes exceptionnelles. Les intervenants y étaient de grande qualité : je pense notamment à Bertrand Coq, qui fut rédacteur en chef à France 24, et surtout à Roland Faure, créateur de France Info. En une heure d’intervention, j’ai énormément appris sur le métier. J’ai le souvenir de son professionnalisme et de sa générosité. Face aux étudiants, il donnait tout ce qu’il avait. Autre qualité de l’école : elle était ouverte 24 heures sur 24, on pouvait s’y rendre à n’importe quelle heure de la nuit ou de la journée, très formateur pour la suite de ma carrière. Car à France 24, c’est la même chose. Enfin, l’école avait mis en place des séances de développement personnel, des mises à nu via des jeux de rôle. Des exercices utiles pour sortir de sa zone de confort.

L’école vous permet d’obtenir votre premier emploi, journaliste à I-Télévision ?

Oui, je ne suis même pas encore diplômée de mon master 2, consacré à la polyvalence du journalisme, que je décroche un CDD de 9 mois à I-Télé Lille après avoir envoyé mon CV et une lettre de motivation. Nous sommes en 2000. Avec I-Télé, on est plongé dans le grand bain car on fait tout : la préparation des reportages, l’écriture, les interviews, le montage, la transmission en direct… En étant basée à Lille, je couvre aussi bien l’actualité nationale qu’internationale avec des reportages en Angleterre, en Belgique, au Luxembourg… Après I-Télé, j’ai été embauchée par M6, toujours en tant que JRI ; pour eux, c’était la productivité assurée car je savais tout faire. J’étais basée à Grenoble. L’expérience dure un an et demi car je rejoins mon compagnon à Paris. Je deviens pigiste pour de grands médias, tels que France 2, CNN, BBC… A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de femmes JRI, mais j’ai eu de la chance, j’ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. Et puis, quand on a un objectif, il faut y croire et ne pas avoir peur ! J’ai donc enchaîné les emplois jusqu’à mon embauche à France 24 en 2006, l’année de sa création, en tant que JRI senior. Cinq ans plus tard, je deviens grand reporter – je suis alors aussi bien devant la caméra que derrière.

À un moment de votre carrière, vous devenez présentatrice du journal télévisé de France 24. Est-ce un choix de votre part ?

Pas du tout. Il se trouve qu’à force de porter la caméra et des gilets pare-balles obsolètes, j’ai eu très mal aux cervicales, avec une incidence dans le bras. J’ai dû arrêter le reportage pendant quelques mois et la direction m’a proposé de présenter le JT. Ce n’est pas du journalisme selon moi car on y relate ce qu’on n’a pas vécu. J’ai quand même réussi à nourrir de mon expertise et de ma connaissance du terrain mes lancements et mes interviews. Mais, ma vocation, c’est le grand reportage. Ca s’est imposé lors d’un reportage en Mauritanie où je couvrais un festival de musique. On apprend dans la nuit qu’un attentat vient de se produire en plein cœur de la capitale. C’est le premier attentat majeur du pays. Je suis partie avec un autre journaliste et son fixeur sur les lieux sans réaliser pleinement le danger que je courais. Mais, j’ai eu tout de suite des réflexes naturels que tout grand reporter se doit de respecter : se mettre d’abord à l’abri avant de filmer, par exemple. Je suis restée longtemps sur place, j’ai mené une enquête au long cours et je suis revenue avec beaucoup de matière. Ce sujet m’a mis le pied à l’étrier. Après ça, à la rédaction, j’étais identifiée comme reporter de guerre. Pour être précise, cela englobe les conflits, mais aussi les catastrophes naturelles, les soulèvements, les attentats, les pandémies… Tout ce qui est à haut risque. On peut partir n’importe où n’importe quand. Et quand on commence à bien connaître un pays en particulier, on y retourne régulièrement pour couvrir l’actualité politique par exemple.

Quels sont les reportages qui vous ont le plus marquée ?

C’est difficile de choisir un reportage plus qu’un autre car à chaque fois j’y mets tout mon cœur. Ce que je peux dire, c’est que mes séjours en Lybie et en Syrie ont été les plus éprouvants. Des mortiers nous tombaient dessus, on passait constamment entre les balles des snipers. Je me souviens notamment de ce jour où je filmais sur la première ligne de front et un confrère progressait dans mes pas. Il a vu le fil de la mine le long d’un coin de mur derrière lequel on se cachait en attendant de trouver la force de se lancer. Il fallait traverser en courant de toutes ses forces une cour à découvert et ne pas être atteint par les snipers. Au moment où je décide de me lancer, il me retient par la poignée du gilet pare-balles. Ce jour-là, j’ai vraiment failli marcher sur une mine… Dans ces moments-là, je n’ai pas peur mais je suis constamment en alerte rouge. Et puis, à France 24, on est formés pour ce type de terrain par des militaires : on a une trousse de premiers secours, on peut se garrotter soi-même, garrotter un confrère, on sait détecter les mines, on apprend à être autonome, etc. Mais, malgré ces précautions, on sait quand on part, on ne sait jamais quand on revient. J’ai été coincée 26 jours en Lybie, pays qui fut longtemps interdit aux journalistes et où je m’étais rendue clandestinement, sans pouvoir en partir. Mais c’est aussi fort car on se dit qu’après une si longue absence de journalistes sur place on va enfin pouvoir dire des choses que personne n’a dites avant. Autre souvenir : en Birmanie, avec mon confrère, on s’est fait passer pour des touristes. On filmait avec une caméra achetée à l’aéroport sur laquelle on avait collé des stickers de Mickey. On s’est rendu en pirogue sur les lieux de notre reportage : là où se cachait des moines menacés par la junte. Sur les zones de conflit, les rapports avec les gens sont très intenses. Car on ne sait jamais si on va se revoir le lendemain. Il arrive régulièrement que meurent les gens que l’on côtoie : des civils défendant leur pays notamment.

Vous avez voyagé dans 70 pays dont une cinquantaine dans le cadre de votre travail. Qu’en retirez-vous ?

Mon constat, c’est que le journaliste n’est pas autant utile que je le souhaiterai. Même si dans mon parcours, certains de mes reportages ont eu un réel impact dans la vie des gens. Je pense notamment à un couple qui était sur le point d’adopter un enfant malien, ils avaient l’agrément, tout était en règle… Mais un changement de régime au Mali, qui est alors en guerre, va mettre un coup d’arrêt au processus. Plusieurs familles françaises étaient confrontées à cette situation. J’ai consacré un reportage à ce sujet, du côté des parents en attente d’un enfant en France et dans les orphelinats au Mali où les enfants étaient en train de mourir de faim, et cela a tout débloqué. Autre exemple : après un séisme au Népal, on parvient avec d’autres journalistes à atteindre un endroit où les secours ne se rendaient pas. En filmant sur les gravats, on entend des voix en-dessous. En visionnant nos reportages, ils ont constaté que le lieu était accessible et sont venus apporter leur aide à la population. Et puis, il y a des moments où on se sent inutiles, où notre impact est limité. Je n’ai jamais couvert le conflit israélo palestinien. Il est en revanche dans tous les JT depuis que je suis en âge de le regarder, et rien n’évolue. Au contraire. Informer les gens est essentiel mais ne résout pas tout. L’information déclenche ou pas des actions. La décision reste politique et souvent géopolitique.

On sent que vous avez réellement le souhait d’être utile.

Oui, j’aurai envie de me sentir utile bien plus souvent. Or, à la télévision, il y a beaucoup d’ego… le journalisme même me pose question. Mon souhait, c’est d’éveiller les esprits, de faire évoluer les mentalités, de donner aux gens l’envie d’agir, de contribuer à accroître les connaissances sur certaines thématiques… Plus on parle de problématiques, plus on sensibilise les gens, plus on a une chance que les choses s’améliorent. Je voyage moins, mais je propose beaucoup plus de sujets personnels, sur des thématiques qui m’intéressent, comme les handicaps invisibles, la potabilité de l’eau menacée par les pesticides… J’ai ce feu là en moi, un peu comme un médecin de l’âme. Cela passe par mes reportages, que je travaille beaucoup tant sur le fond que sur la forme, mon activité de professeur et de pédagogue qui me permettent de transmettre mon expertise.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre activité de pédagogue ?

Tous les ans, je participe à la semaine de la presse. J’interviens à la demande des établissements dans des collèges où je sensibilise les jeunes aux fake news. Je leur permets de les débusquer et je leur communique des outils pour qu’ils réfléchissent, agissent par eux-mêmes. Car les journalistes ne détiennent pas LA vérité. Chacun peut vérifier une info. Aujourd’hui, j’ai envie de me consacrer entièrement à ce public – à des jeunes Français mais aussi à des jeunes vivant dans des coins reculés car France 24 est accessible partout sur le globe – en développant une chaîne qui leur soit dédiée, France 24 junior. Mon idée, c’est de m’adresser aux jeunes avant que leur lien à l’information ne se dégrade et qu’ils soient perméables aux fakes news. J’ai envie de leur donner des clés de compréhension de l’actualité, de les ouvrir au monde, de leur montrer comment on vit ailleurs, de leur proposer une information adaptée. Je suis également professeur à l’école de journalisme de Sciences Po. Je leur enseigne notamment le reportage de télévision et comment se préparer à couvrir des zones de guerre en minimisant les risques : changer de maison sans arrêt, observer avant d’agir, trouver de bons fixeurs, dormir, manger et boire quand on le peut. Le trio gagnant valable partout, tout le temps pour pouvoir travailler et raisonner au mieux.

Mais dans le cadre de votre métier, vous ne souhaitez plus être reporter de guerre ?

Quand j’ai commencé à être reporter de guerre en 2011, je partais sans arrêt. Je me réveillais chaque matin sans savoir où j’allais me rendre. Ça donne le tournis car tous les hôtels se ressemblent, on travaille en urgence, tels des pompiers de l’information, on peut rapidement se perdre… Et plus je faisais des reportages plus la mort se rapprochait de moi ; j’ai perdu un fixeur, des confrères, des personnes que j’avais filmées… Un jour, j’ai pris conscience que ma famille avait peur pour moi tout le temps. Le corps aussi a dit stop quand j’ai eu des problèmes de cervicales. A partir de 2013, je suis partie moins souvent, j’ai attaché plus d’importance à ma vie privée, à ma famille, et aujourd’hui, je suis beaucoup plus raisonnable. Je réfléchis à deux fois avant d’accepter un reportage. Et puis je suis maman depuis 15 mois d’une petite fille que j’allaite, c’est ma plus belle mission. Il faut dire aussi que les risques se sont accrus : on est des cibles, on peut être vendus, pris en otage, violées, sans être payés plus cher.

Est-ce que, selon vous, l’intelligence artificielle menace le métier de journaliste ?

L’intelligence artificielle me fait très peur si elle est mal utilisée. Et, contrairement à ce qui peut se dire ici et là, cela me conforte dans l’importance du terrain. Ça n’a jamais été aussi crucial. Et c’est différent que de faire des directs. Il faut aller au plus près de ce qui se passe. Si on n’était pas là pour voir, entendre, mettre nos sens et notre expérience au service de nos sujets, on passerait à côté d’un journalisme vrai à condition de survérifier les informations, de multiplier les sources… Personnellement, j’adore être au contact des gens, que ce soit un président ou un mendiant. Même si je vais moins loin qu’avant, je ne me suis jamais posée… et je ne me poserai jamais !

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